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Manifeste Programme
du (nouveau) Parti communiste italien
Les versions italienne et anglaise du Manifeste Programme sont sur le Site Web http://www.nuovopci.it section EiLE.
La “guerre de position” de
Gramsci est substantiellement une périphrase pour la plus
explicite expression Guerre Populaire
Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) que nous
utilisons, reprenant celle-ci de Mao.(1)
1. La
Voce du nouveau PCI, n° 43,
mars 2013, p. 5
Nous publions avec
grand plaisir l'article du camarade Folco R. qui illustre
l'apport d'Antonio Gramsci à l'élaboration de la stratégie de
Guerre populaire révolutionnaire comme stratégie de la
révolution socialiste dans les pays impérialistes.
Avant toute chose parce que le
mouvement communiste de notre pays a un besoin absolu
d'affiner son analyse quant aux formes de la révolution
socialiste. Plus notre lutte avance, plus se développe
largement la guerre que nous avons commencée avec la fondation
du Parti, plus la crise du capitalisme pousse les masses
populaires à s'engager dans la Guerre populaire
révolutionnaire comme en 1943-45 un nombre croissant de
jeunes, d'ouvriers, de paysans et de femmes au foyer
s'engagèrent dans la Résistance, le plus il est nécessaire que
le Parti apprenne à traduire la conception générale de la GPR
en initiatives concrètes : en campagnes, batailles et
opérations jusqu'à la mobilisation des larges masses qui
instaureront le socialisme en Italie et donneront ainsi leur
contribution à la seconde vague révolutionnaire prolétarienne
qui avance dans le monde entier.
En second lieu, pour donner à
Antonio Gramsci la place qu’il mérite pour son œuvre dans le
mouvement communiste italien et international. Contre le
travestissement de son œuvre par Togliatti et ses complices
qui ont présenté Gramsci comme un précurseur de la voie
pacifique au socialisme, soit concrètement de la renonciation
à la révolution socialiste. Mais aussi contre l’usage
anticommuniste que cherche à faire de Gramsci, depuis quelques
années, la gauche bourgeoise : celle-ci le présente en Italie
et dans le monde comme un opposant à la conception et à la
ligne personnifiée par Staline, qui a guidé l’Internationale
et le mouvement communiste jusqu’en 1956. Alors qu’en réalité,
bien qu’enfermé dans les prisons fascistes, Gramsci a élaboré
à la lumière des tâches de la révolution socialiste et de
l’expérience du mouvement communiste la critique la plus
exhaustive des conceptions de Trotsky et de celle de
Boukharine, qui furent les principaux opposants à Staline
quant à l’orientation à donner à la révolution en URSS et au
niveau international et à la ligne avec laquelle la
poursuivre.
Ces deux motifs
justifient amplement la publication de la contribution du
camarade, bien que son étude de l’œuvre de Gramsci soit encore
en cours, ce qui transparaît dans l’incertitude à indiquer les
textes principaux utiles à l’assimilation des enseignements de
Gramsci sur la GPR.
La rédaction
****************************************
Dans le n°43 de La Voce, Umberto C.
écrit que Gramsci, “unique dirigeant
communiste (...) à avoir réfléchi sur la forme de la
révolution socialiste dans les pays impérialistes, (...) a
élaboré (v. Carnets de Prison (CP) 7 (§ 16), 10 (I) (§
9), 13 (§ 7) et autres) la théorie de la “guerre de position”
que, en nous libérant du langage imposé par la censure de la
prison fasciste, nous appellerions aujourd’hui guerre
populaire révolutionnaire de longue durée.
La Guerre Populaire
Révolutionnaire de Longue Durée (GPR de LD) est la révolution socialiste qui se construit.
La GPR de LD, comme conception, s’oppose à la conception du sens
commun (c’est-à-dire des manières courantes de dire et de
penser, fruits du rôle dominant du clergé et de la bourgeoisie)
selon lesquelles la révolution socialiste éclaterait,
c’est-à-dire serait une rébellion spontanée des masses
populaires condamnées à des conditions intolérables. Le
mouvement communiste à ses débuts (1848) a hérité de cette
conception et a compris la révolution socialiste comme
révolution qui éclate, à la manière des révolutions du passé.
Mais cette conception se heurtait à l’expérience du mouvement
communiste, qui allait en se développant. Les communistes se
rendirent peu à peu compte de cette contradiction entre leur
conception et la pratique de la révolution socialiste.
Engels
fut le premier à exposer de manière organique, en 1895, le
concept que la révolution socialiste avait par sa nature même
une forme différente des révolutions du passé, qu’elle n’éclate pas mais se construit.(2) Mais les partis socialistes
d’alors (réunis dans la 2ème Internationale) n’accueillirent pas
sa découverte. Même parmi ceux qui se proclamaient marxistes,
comme le Parti social-démocrate allemand, l’adhésion des
dirigeants au marxisme était dogmatique, à des degrés divers. Le
communisme, le socialisme et la révolution socialiste étaient
des articles de foi, qui ne se traduisaient pas dans les lignes
guidant l’activité courante des partis. Précisément pour cette
raison, ceux-ci ne surent pas faire face à leurs tâches, comme
cela fut théâtralement démontré par les évènements de 1914.
Parmi les partis socialistes d’alors, seul celui de Lénine
traduisit dans sa pratique la conception d’Engels. Mais il la
traduisit sans faire de la conception d’Engels une arme dans la
lutte contre le dogmatisme, l’opportunisme et l’économisme.(3)
Il construisit la révolution en Russie comme une GPR de LD, mais
sans en avoir conscience (ce qui confirme que la pratique est en
général plus riche que la théorie). De même, l’Internationale
communiste et Staline conduisirent dans la première partie du
siècle dernier, avec succès, la révolution socialiste au niveau
international comme GPR de LD dont l’Union Soviétique était la
base rouge mondiale, mais ils n’atteignirent pas la pleine
conscience de ce qu’ils étaient en train de faire. Ceci laissa
au sein de l’Internationale communiste le champ libre au
dogmatisme, à l’opportunisme et à l’économisme qui apparurent au
grand jour dans les années 1950. Mao Tse-tung fut le premier
dirigeant de Parti à élaborer la conception de la GPR de LD
comme stratégie de la révolution socialiste. Mao Tse-tung énonça
cette conception comme stratégie de la révolution en Chine, la
liant aux caractères spécifiques de la situation sociale et
politique chinoise (Pourquoi en Chine
peut exister le Pouvoir rouge ? - octobre 1928 en Œuvres de Mao
Tse-tung, Editions
Rapporti Sociali vol. 2, disponible sur le site du (n)PCI http://www.nuovopci.it/arcspip/article0c16.html).
Par
la suite, elle fut indiquée comme stratégie de la révolution
pour tous les pays coloniaux, semi-coloniaux et néo-coloniaux où
la masse de la population était encore formée de paysans. C’est
seulement avec l’affirmation du marxisme-léninisme-maoïsme comme
troisième et supérieure phase de la pensée communiste, que fut
acquise la conception que la GPR de LD est la stratégie universelle de la révolution socialiste ; la stratégie que les
communistes doivent suivre dans tous les pays pour l’emporter.(4)
2. Manifeste
Programme du nouveau PCI, Ed.
Rapporti Sociali, Milano, 2008, sous-chap. 3.3 pp.
199-201 et suivantes, avec les notes 133-138 aux pp. 298-299 (p.
127 et suivantes dans la VF en lien)
3.
Trois déviations sont constamment présentes dans les Partis des
pays impérialistes qui se disent marxistes :
- Dogmatisme
: avoir une relation au marxisme analogue à celle du croyant
envers les doctrines religieuses, l’assumer comme description du
monde mais non comme science guidant l’action pour le
transformer.
- Opportunisme
: participer à la lutte politique bourgeoise uniquement ou
principalement pour saisir les possibilités (opportunités)
qu’offre celle-ci d’améliorer la condition des travailleurs dans
le cadre du système de relations sociales bourgeoises. [Nous
ajouterions : et les opportunités d’ascension pour soi-même dans
ledit système !]
- Économisme
: limiter la lutte de classe aux revendications d’améliorations
salariales et des conditions de travail.
4.
Voir à ce propos La
Huitième ligne de démarcation en La
Voce n°9 de novembre 2001 et n°10 de mars 2002.
Gramsci, dans sa condition de
prisonnier des fascistes de 1926 à sa mort en 1937, n’a pas
dirigé le processus révolutionnaire en Italie, mais en
recueillant l’expérience de la révolution socialiste en Italie
et dans les autres pays impérialistes, et en analysant également
la manière dont les bolchéviks avaient vaincu en Russie, il a
apporté une contribution importante à la formulation de la
stratégie de la GPR de LD.(5)
5.
De la transformation du capitalisme en impérialisme et du
changement de la forme de la révolution, Gramsci parle dans le
Carnet 8 §236 p. 1088 et le Carnet 10 § 9, p. 1226, en Carnets
de Prison, Einaudi, Torino, 2001. De là en avant dans les
autres CP.
Je vais exposer ci-après les
principaux aspects de la GPR de LD que Gramsci a plus ou moins
largement abordés dans ses Carnets de Prison. Les citations de Gramsci ou d’autres sont en italique. Les
évidéntiations en gras sont de moi.
1. La révolution
prolétarienne dans la phase de l’impérialisme
L’impérialisme
est la dernière phase du capitalisme, mais aussi la dernière
phase de la société divisée en classes. Elle referme donc non
seulement une période séculaire (celle du capitalisme), mais
millénaire (celle de la division de l’humanité en classes
d’opprimés et d’oppresseurs, d’exploités et d’exploiteurs). La
révolution socialiste est donc différente de toutes les autres
révolutions, dans le sens précis où les précédentes révolutions
servaient à une classe pour conquérir le pouvoir dans une
société qui restait divisée en classes d’exploités et
d’exploiteurs ; tandis que la révolution socialiste sert à la
classe ouvrière à conquérir le pouvoir à la tête du reste des
masses populaires, pour établir une société qui pas après pas
abolit la division en classes. La forme de la révolution est
donc différente : ce n’est plus une insurrection qui éclate, au
cours de laquelle une classe prend la tête de la révolte des
masses populaires et s’en sert pour s’installer au poste de
commandement comme nouvelle classe exploiteuse, mais c’est une
révolution qui se construit pas à pas, bataille après bataille,
campagne après campagne, comme une guerre au cours de laquelle
les masses populaires se transforment, car en s’organisant dans
le Parti communiste et les organisations de masse, elles
commencent à acquérir le rôle de créatrices conscientes de
l’histoire. La révolution socialiste commence donc bien avant la
conquête du pouvoir politique et en Italie elle est déjà en
œuvre. C’est une révolution qui se construit, conquête de
l’hégémonie comme extension et enracinement du Nouveau Pouvoir,
initiée comme GPR de LD avec la fondation du nouveau Parti
communiste italien, en novembre 2004.
Le pouvoir, ce que Gramsci
appelle hégémonie,dans la société
Italienne comme dans toutes les sociétés modernes, est en
dernière analyse la direction de
l’activité pratique des masses populaires. La direction
combine la conquête des cœurs et des esprits des masses
populaires avec l’exercice de la coercition et avec
l’organisation de la vie quotidienne dans tous ses aspects.(6)
6.
MP, p. 203.
Dans notre pays, la GPR de LD
suivra un parcours déterminé par des conditions spécifiques, à
savoir la
voie de l'accumulation des forces révolutionnaires par la
constitution et la résistance du Parti clandestin et par sa
direction sur les masses populaires, 1. pour qu’elles
s’agrègent en organisations de masse de tout type, nécessaires
pour satisfaire leurs besoins matériels et spirituels, 2. pour
qu'elles participent à la lutte politique bourgeoise pour en
subvertir le cours et 3. pour qu'elles conduisent les luttes
revendicatives jusqu’au commencement de la guerre civile [c'est-à-dire l'affrontement entre les forces armées des
deux camps]. Ceci est dans notre
pays l’équivalent de “l'encerclement des villes par les
campagnes” dans les pays semi-féodaux. Il est impossible dans
les pays impérialistes d’encercler les villes par les
campagnes, mais il est tout à fait possible, et la pratique
l’a montré, de définir le développement quantitatif spécifique
qui constitue la première phase de la GPR de LD et à travers
lequel on va vers sa seconde phase. Avec la guerre civile
générée par ce développement quantitatif débutera la seconde
phase de la GPR de LD. Le commencement de la guerre civile
sera caractérisé par la constitution des Forces Armées
Populaires, qui a partir de ce moment disputeront le terrain
aux forces armées de la réaction.(7)
7.
La Voce du nouveau PCI, n°17, juillet 2004, p. 31.
2. L’essence de la
Guerre Populaire révolutionnaire de Longue Durée
L’essence de la GPR
de LD consiste en la constitution du Parti communiste comme
centre du nouveau pouvoir populaire de la classe ouvrière ; en
la mobilisation et l’agrégation croissante de toutes les
forces révolutionnaires de la société autour
du Parti communiste ; en l’élévation du niveau des forces
révolutionnaires ; en leur utilisation selon un plan établi
pour affaiblir le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste et
renforcer le nouveau pouvoir, jusqu’à renverser les rapports
de force, éliminer l’État de la bourgeoisie impérialiste et
instaurer l’État de la dictature du prolétariat.(8)
Gramsci décrit ces traits
essentiels en parlant :
1) du Parti comme Prince moderne,
2) de forces révolutionnaires
qui s’agrègent comme volonté
collective nationale-populaire dont le Parti est en même temps
l’organisateur et l’expression active et opérante,
3) de l’élévation des forces
révolutionnaires comme réforme
intellectuelle et morale,(9)
4) de l’utilisation des forces
révolutionnaires jusqu’à l’instauration de l’État socialiste,
c’est-à-dire jusqu’à l’accomplissement d’une forme
supérieure et totale
(c-à-d. regardant tous les aspects de la société, ndr) de civilisation
moderne.(10)
La GPR de LD commence avec la
constitution du Parti communiste. Le Parti communiste se fonde
sur la conception communiste du monde : “Dans la pratique
nous avons besoin d’un Parti uni, discipliné, fort et sur le
long terme un Parti révolutionnaire ne peut être uni et
discipliné que si ses membres sont unis par une conception du
monde (pour les mouvementistes cela s’appelle une secte, mais
c’est une accusation à laquelle les communistes sont habitués)
et s’il personnifie ce qui unit les ouvriers au delà des
differences et des contradictions de catégories et de métiers,
de culture, de nationalité, de sexe, de traditions, et les
constitue comme nouvelle classe dirigeante des masse
populaires : la conception communiste du monde.”(11)
La conception communiste du
monde est l’idéologie qui pas après pas unifie les masses
populaires en leur donnant un objectif commun. Gramsci parle de
cela comme du Prince de Machiavel
: c’est une conception vivante et concrète qui se matérialise
dans la pratique, et non une abstraction dogmatique.(12) C’est le matérialisme
dialectique et sa forme la plus avancée qu’est le maoïsme,
troisième et supérieure étape de la pensée communiste.
8.
MP, p. 203.
9.
Gramsci parle explicitement de la necessité de donner une
direction consciente aux mouvements spontanés des masses
populaires, de les élever à un niveau supérieur dans lesCP, pp.
328-332 (Carnet 3 §48).
10. CP, pp. 1560-1561 (C13 §1).
11. MP, p. 164.
12. CP, p. 1555 (C13 §1).
Machiavel
désigne comme guide de la collectivité un individu, un condottiere, un Prince, capable de convaincre en parlant
“aux cœurs et aux esprits” des masses populaires, c’est-à-dire
par la science et l’art, avec le détachement du savant et la
participation de l'artiste. Aujourd’hui, la direction des masses
populaires ne peut plus être un individu, car le processus
révolutionnaire n’est plus de substituer une classe dirigeante
de ces masses à une autre, mais de conduire les masses à se
transformer jusqu’à se diriger elles-mêmes. Le sujet qui dirige
ce processus n’est donc plus un individu, mais un collectif, qui
déjà en soi, justement parce que collectif, reflète l'exigence
(la possibilité et, à certaines conditions, la capacité) que la
collectivité se gouverne d’elle-même et expérimente en son sein
la manière de le faire. Ce sujet collectif est le Parti
communiste, et c’est avec sa constitution que la révolution
commence sous la forme de GPR de LD.
Là où le Parti
communiste est absent ou là où il n’est pas encore assez fort
pour pouvoir se mettre à la tête de la mobilisation des masses
populaires, celle-ci suit d’autres dirigeants, qui peuvent être
des groupes arriérés ou réactionnaires, ou des individus qui
endossent le rôle de ‘tribun du peuple’ comme Beppe Grillo.
Celui qui critique les masses populaires parce qu’elles suivent
Grillo est un analphabète politique ou un incapable qui se
refuse à analyser ses propres limites, qui ne se demande pas
quelles sont ses limites à cause desquelles
les masses populaires suivent Grillo, et non pas lui ou son
groupe. Il se consolera avec l’idée fausse et absurde que les
masses populaires sont arriérées, incapables de progresser, en
raisonnant de la même manière que la bourgeoisie impérialiste,
c’est-à-dire en partageant le mépris de la bourgeoisie pour les
masses populaires.
Le Parti que décrit Gramsci
est aujourd’hui le nouveau PCI avec sa caravane, c’est-à-dire
avec les forces qui partagent son parcours en terre encore
inexplorée, vers une destination concrète et
rationnelle certes, mais d’une concrétude et d’une rationalité
non encore vérifiée et critiquée par une expérience historique
effective et universellement connue.(13)
La caravane du nouveau PCI fait la révolution dans un pays
impérialiste, entreprise nouvelle pour le mouvement communiste
international, et expérimente une méthode nouvelle dans un pays
impérialiste, la GPR de LD. Nous ne pouvons donc compter sur des
expériences précédentes effectives, qui
auraient été efficaces. Nous n’avons pas d’exemples à apporter à ceux hésitent ou doutent.(14)
Celui qui continue a hésiter,
à garder des réserves, à regarder avec scepticisme la passion
qui nous anime, ne peut de toute façon rester tel qu’il est, car
l’avancée de la crise lui impose de se transformer. Quand la
maison brûle il faut sortir, dit Bouddha dans le poème de
Brecht.(15)
Si nous ne pouvons apporter la
preuve d'un résultat avéré, car personne n’a encore fait ce que
nous faisons aujourd’hui, nous apportons cependant la passion de
celui qui découvre des terres nouvelles et construit quelque
chose de nouveau, la conscience que nous sommes en train de
réaliser “le rêve d’une chose” que le monde possède depuis
longtemps : l’abolition de la division des êtres humains en
classes d’exploités et classes d’exploiteurs.(16)
13. CP, p. 1558 (C13 §1).
14.
Bien entendu, à l’appui et comme “démonstration” de notre ligne,
nous pouvons apporter, outre l’analyse de la lutte de classe en
cours aujourd’hui, l’expérience de la première vague de la
révolution prolétarienne : tant des succès obtenus avec la
fondation des premiers pays socialistes (à partir de la
Révolution d’Octobre et de la création de l’Union soviétique),
qui pour quelques décennies jouèrent le rôle de bases rouges de
la révolution prolétarienne mondiale, que des échecs que nous
avons subis. Nous sommes radicalement contre l’oubli et à
fortiori le dénigrement de l’expérience historique de la
première vague de la révolution prolétarienne, et en particulier
de celle des premiers pays socialistes. Notre position est
scientifique : nous usons de l’expérience, des réussites et des
échecs, pour élever à un niveau supérieur la science de la
transformation de la société bourgeoise en société communiste,
la science par laquelle nous remporterons la victoire. Cette
attitude nous distingue nettement de la gauche bourgeoise, y
compris de ses représentant-e-s qui se disent communistes (comme
par exemple les fondateurs de Ross@ réunis en Assemblée à
Bologne le 11 mai 2013) et y compris des adorateurs du
“socialisme du XXIe siècle” d’ici ou d’ailleurs, à la Luciano
Vasapollo et à la Martha Harnecker, qui insidieusement
présentent l’importante lutte en cours au Venezuela et dans
d’autres pays d’Amérique latine principalement comme une
alternative et une négation du socialisme du XXe siècle, celui
de la première vague de la révolution prolétarienne et des
premiers pays socialistes. Que dirait-on, dans quelque domaine
de l’activité humaine que ce soit, de personnes qui se disent
décidées à poursuivre un objectif mais qui ignorent, occultent
voire dénigrent l’expérience de tous ceux et celles qui l’ont
poursuivi avant eux, au prétexte qu’ils et elles ne l’ont pas
atteint ?
15.
“Il y a quelque temps je vis une maison. Elle brûlait. Le toit
était léché par les flammes. Je m’approchai et je m’aperçus/
qu’il y avait encore des gens, là-dedans. Depuis le seuil/ je
leur criai que le toit était en feu, les appelant à sortir et
vite. Mais ils ne paraissaient pas être pressés. L’un d’eux me
demanda, tandis que le feu déjà lui brûlait les sourcils/ quel
temps faisait-il, s’il pleuvait,/ s’il y avait du vent, s’il y
avait une autre maison,/ et ainsi de suite. Sans répondre, je
m’en allai de là. De tels gens, pensai-je/ devraient brûler
avant qu’ils ne cessent de poser leurs questions”. (B. Brecht, La
parabole de Bouddha sur la maison en flamme).
16.
“Il sera alors avéré que le monde possède depuis longtemps le
rêve d’une chose, et qu’il ne lui manque que d’en posséder la
conscience pour la posséder réellement.” (K. Marx, Lettre à
Ruge, septembre 1843 - Œuvres complètes, Editori
Riuniti 1976, vol. 3 pag. 156).
3. La révolution se
construit
Selon le sens commun, la
révolution socialiste éclate : c’est donc un évènement limité
dans le temps, une insurrection, une révolte, un soulèvement
populaire spontané, comme dit précédemment. Cette conception
s’est sédimentée dans le sens commun car les révolutions jusqu’à
un certain moment de l’histoire se sont toujours manifestées, du
côté des masses populaires, comme des insurrections, comme des
explosions spontanées dues à la maturation de conditions qui
rendaient impossible la perpétuation des conditions existantes.
Mais dans le sens commun, au concept de la “révolution qui
éclate” fait face le concept opposé, celui de “faire la
révolution”. Dans le premier cas, les masses populaires
s’insurgent face à une situation devenue intolérable. Leur
mouvement est donc un mouvement passif : un mouvement que les masses effectuent mues non pas par
une transformation internes à elles-mêmes, mais par des facteurs
externes déterminés par l’action des autres classes, comme un
corps qui se meut parce qu’impulsé par un autre. Dans le second
cas, les masses populaires font (c-à-d. construisent) la
révolution: c’est un mouvement actif. L’activité requiert une conscience: idéation, programmation, examen
en cours d’œuvre, bilan, détermination ; en somme, implication
de nos facultés intellectuels et morales au plus haut niveau,
car la révolution signifie découvrir des choses nouvelles et
inventer, et parce que la classe adverse utilise tous les
moyens, infamies et cruautés pour maintenir son propre pouvoir.
Les deux manières d’entendre
la révolution se distinguent comme opposés, car le premier
conduit la révolution socialiste à la défaite, tandis que le second la conduit à la victoire. La première
manière fonctionne effectivement et depuis des millénaires, dans
les sociétés divisées en classes ; mais cesse de fonctionner à
un moment donné de l’histoire, précisément lorsque sont mûres
les conditions pour l’abolition de la division en classes,
c’est-à-dire en Europe au milieu du XIXe siècle. À ce moment-là
naît le sujet qui dirige l’abolition des classes : le mouvement
communiste conscient et organisé (avec ses Partis, ses syndicats
et autres organisations de masse). La publication du Manifeste du Parti
communiste de Marx et
Engels, en 1848, en est “l’acte de naissance”. Le mouvement
communiste conscient et organisé commence à faire la révolution, et ne l’emporte, que lorsque plus ou moins
consciemment il construit la révolution, et lorsqu’il ne le fait pas, il apprend à
ses dépens que la révolution, désormais, n’est plus quelque
chose qui éclate.
Le tournant est d’importance
historique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité,
un changement social va être pensé par les masses
populaires qui le mettent en œuvre, et non déterminé par des
causes externes à elles. La conscience (la raison et la volonté)
des êtres humains, leur conception du monde, assume un rôle sans
précedent. Nous pouvons, et donc devons, réaliser l’antique rêve
de construire une société et une civilisation par des méthodes
rationnelles, et il appartient à la classe ouvrière de diriger
ce processus.(17)
17.
Construire la société et une civilisation selon une méthode
rationnelle suscite l’horreur dans le camp de la bourgeoisie
impérialiste. Selon la conception bourgeoise du monde, c’est une
“limitation de la liberté individuelle” : en realité c’est une
négation de la liberté de la bourgeoisie. Refuser l’usage d’une
méthode rationnelle dans la construction de la révolution
socialiste, c-à-d. la position de ceux qui considèrent que cette
méthode limite la “spontanéité” des masses populaires et de leur
“insurrection qu’on attend”, est un expression de la conception
bourgeoise du monde.
Cette conception du monde a
parmi ses fondements la conscience que la révolution se
développe (se fait) à la manière dont se fait (se promeut et se
conduit) une guerre, et aujourd’hui la conscience qu’il s’agit
d’une GPR de LD, expérimentée dans les pays opprimés et
semi-coloniaux de manière consciente par le Parti communiste
chinois. Sur la base de l’expérience de la révolution socialiste
en Europe au début du XXe siècle, Gramsci explique que cette
stratégie vaut également pour les pays impérialistes, donc
également pour l’Italie.
4. La lutte de classe est une guerre
Gramsci décrit la lutte de
classe comme une guerre. Il dit que le passage de la guerre de
manœuvre (et de l’attaque frontale) à la guerre de position
advient aussi dans le domaine politique et critique Trotsky qui,
d’une manière ou d’une autre, peut être retenu comme le théoricien
politique de l’attaque frontale dans une période où celle-ci
mène uniquement à la défaite.(18)
18.
CP, pp. 801-802 (C6 §138). Les CP contiennent la critique la
plus exhaustive qui ait été faite à ma connaissance de
l’acception que Trotsky fait sienne de l’expression “révolution
permanente” utilisée par Marx et Engels et de la conception
construite par Trotsky à l’enseigne de la “révolution
permanente”. La plus exhaustive dans le sens où la
critique est menée non seulement à la lumière des tâches de la
révolution socialiste en Russie et de l’Internationale
communiste dans les années 1920, mais de toute l’expérience
historique du mouvement communiste en Europe et en Russie à
partir de sa fondation en 1848.
Par guerre de manœuvre
ou de mouvement, Gramsci
entend celle qui considère l’attaque comme une opération rapide
et conclusive, comme une insurrection populaire dont le Parti
communiste prend la tête. C’est une guerre destinée à la défaite
face à un ennemi qui de son côté conduit une guerre planifiée,
avec tous les instruments politiques et militaires dont il
dispose en grande quantité.
À partir du moment, au milieu
du XIXe siècle, où sont mûres en Europe les conditions pour
l’abolition des classes, la bourgeoisie met en place des
instruments politiques et militaires pour empêcher que ceci
advienne. Dans les régimes de contre-révolution préventive
prévalent les instruments politiques.(19)
Plus la crise avance et
s’effritent les piliers des régimes de contre-révolution
préventive, plus la lutte de classe manifeste ouvertement son
caractère de guerre de classe (et plus l’inconsistance du
mouvementisme devient évidente).(20) Ici, dit Gramsci, l’on passe à la
guerre de siège, éreintante, difficile, demandant des qualités
exceptionnelles de patience et d’esprit inventif.(21) La guerre de siège, ou guerre de position est la GPR de LD
contre la bourgeoisie impérialiste, et le Parti communiste qui
la conduit doit avoir patience, fermeté stratégique face aux attaques de l’ennemi et
capacité à combattre pour tout le temps nécessaire, et esprit inventif,
flexibilité tactique et capacité d’innovation nécessaire pour
qui s’aventure en terrain inexploré, comme c’est le cas de la
caravane du nouveau PCI.(22)
19.
Ce que sont les régimes de contre-révolution préventive est
expliqué dans le MP, pp. 46 et suivantes.
20.
Mouvementisme : limiter la lutte de classe aux formes
d’action conformes au sens commun et aux relations propres à la
société bourgeoise, excluant la projectualité et encore plus la
conception communiste du monde. En substance, équivaut à du
spontanéisme.
21.
CP, p. 802 (C6 §138).
22.
Gramsci revient sur l’opposition entre guerre de
position et guerre
de mouvement ou frontale, c-à-d. entre GPR de
LD et insurrection dont l’éclatement est attendu par les
spontanéistes, économistes ou mouvementistes, dans les CP, p.
865 (C7 §16). Ici Lénine est désigné comme celui qui a mené la
GPR de LD. Du côté opposé Gramsci place Trotsky, Sorel et Rosa
Luxemburg.
5. Guerre et crise
Dans
le §17 du Carnet 13, le sujet est Analyse des
situations : rapports de force.(23) Gramsci décrit la situation dans laquelle se déroule la
guerre entre classes. Il s'agit de la situation révolutionnaire
qui se développe parallèlement à la crise générale par surproduction
absolue de capital
: Gramsci fait référence à la première crise. Sont
évidentes les analogies avec la situation actuelle de la seconde
crise générale.
23.
CP, pp. 1578-1589 (C13 §17).
Gramsci parle des polémiques
idéologiques, religieuses, philosophiques, politiques quise déroulent
autour des mille phénomènes par lesquels la crise se manifeste
(les différentes formes par lesquelles la résistance des
ouvriers, des travailleurs, des masses populaires s’exprime, les
différentes formes de massacre social des gouvernements de la
bourgeoisie impérialiste qui forment une guerre d’extermination
non-déclarée contre les masses populaires et, quant aux
phénomènes plus éclatants, les suicides, les meurtres de femmes,
etc. etc.). Ces polémiques n’ont un sens que si elles convainquent et in fine ne se
démontrent vraies que lorsqu’elles vainquent. Dans l’affrontement, les communistes sont autant
convaincants que vainquants parce qu’ils relient le
phénomène occasionnel à la question générale, c-à-d. à la crise
; parce qu’ils ont une conception du monde qui d’un côté a
connaissance de la nature de la crise, de l'autre a la stratégie
pour la surmonter (la GPR de LD). Convaincre, c-à-d. conquérir
“les cœurs et les esprits” des masses populaires, est ce qui
décide de l’issue de la guerre. Il suffit de voir tout
l’appareil mis en place par la bourgeoisie impérialiste pour
convaincre les masses populaires qu’il est juste d’aller à la
misère et à la mort pour sauver une classe politique en
putréfaction et le système financier derrière elle, géré par un
infime groupe de criminels au niveau international et dans
chaque pays, qui se font passer pour ‘Communauté internationale’
(comme ils font passer leurs guerres pour des ‘missions de
paix’).
“Une fois réunies les
conditions objectives du socialisme, qui existent en Europe
depuis plus d’un siècle, le facteur décisif pour la victoire
de la révolution socialiste sont les conditions subjectives”. (MP, p. 35)
Le mouvement communiste conscient et organisé peut donc
construire la révolution socialiste. Gramsci le confirme en
disant qu’existent les conditions nécessaires et
suffisantes pour que des tâches déterminées puissent et donc
doivent être accomplies historiquement,
ajoutant que ceci doit être fait car chaque manquement au
devoir historique augmente le désordre nécessaire et prépare
de plus graves catastrophes, c’est-à-dire que prévale la mobilisation réactionnaire des
masses populaires, que la bourgeoisie parvienne à imposer le
fascisme et la guerre.
Les
communistes doivent accomplir
historiquement
leurs tâches, dit Gramsci
: ne pas le
faire prépare de plus graves
catastrophes.
C’est-à-dire que les tâches que les communistes doivent
accomplir sont posées par le cours de l’histoire et
identifiables en étudiant le cours de l’histoire. Il faut
s’acquitter de ces tâches. La société qui ne s’en acquitte pas
ira à des catastrophes toujours plus graves. La crise impose que nous
luttions pour faire de l'Italie un nouveau pays socialiste. La
classe dominante et le sens commun voient de la crise les
aspects négatifs, mais tous les
aspects négatifs de la crise ont leur origine dans le refus de
faire ce que la crise impose de faire, la volonté de persister
dans ce système économique, social et politique, la volonté de
maintenir cette condition matérielle, ne pas vouloir croire
possible et réaliser le futur que la crise impose comme
nécessaire.
Ne sont ni convaincants ni vainquants les économistes,
incapables de voir au-delà du phénomène; et les dogmatiques, qui
substituent à l'examen de la realité leurs propres schémas.
Gramsci
insiste sur le fait qu’il faut absolument tenir compte du lien
entre la crise générale et chacune de ses manifestations
particulières (chacun des phénomènes locaux, de secteur, du
moment, etc.). C’est seulement ainsi que l’on est en mesure
d’attaquer l’ennemi de manière efficace. Laisser notre action se
perdre dans les détails, nous disperser dans les luttes isolées
les unes des autres est une arme de guerre entre les mains de
l’ennemi. Qui subit l’influence idéologique de la bourgeoisie
(la gauche bourgeoise et ses partisans) tombe facilement victime
de cette arme de l’ennemi, car justement la bourgeoisie n’a pas
de connaissance théorique du lien entre général et particulier,
elle n’a et ne peut pas avoir de science de la réalité
économique, sociale et politique (science qui lui montrerait que
son règne est fini). L’analyse théorique que fait la bourgeoisie
de la réalité est toujours une analyse des détails (analyse
unilatérale), ne montrant pas le lien entre ceux-ci, lien qui
seul permet de comprendre le véritable rôle et le sens de chaque
détail. Tenir compte du lien entre chaque manifestation et la
crise générale signifie placer chaque bataille, chaque campagne
dans le cadre de la stratégie générale de la GPR de LD,
construire la révolution, car il s’agit ici non de reconstruire
l’histoire passée mais de construire l’histoire présente et
avenir.
Après l’analyse de la
situation,Gramsci passe à l’examen des rapports de force, quis’articulent
en moments.
Le premier de ces moments est
le point de départ, c-à-d. les rapports de force entre classes
par rapport à la situation objective, à l’organisation
économique de la société et la composition de classe qui en
découle.
Le second moment est celui où
une classe commence à prendre conscience d’elle-même comme
classe [classe pour soi - NdT]. À ce moment-là,
son activité prend place sur le terrain des luttes
revendicatives d’abord, puis de la lutte politique qu’il y a,
c’est-à-dire de la lutte politique bourgeoise. Ce passage est
désigné dans le MP comme le passage de la lutte
revendicative à la lutte politique, qui se situe en
Europe à la fin du XIXe siècle, avec la formation des grands
syndicats et des partis socialistes de la IIe Internationale.
Le
troisième moment est le passage de la lutte
politique à la lutte révolutionnaire. La classe ouvrière comprend que pour défendre ses intérêts
il ne suffit pas d’agir dans le cadre politique prédéterminé par
la bourgeoisie. Dans le MP (p. 26) ceci est expliqué comme suit
: “Avec
le marxisme les ouvriers rejoignirent la conscience la plus
pleine de leur propre situation sociale. Leur lutte devint
plus consciente, jusqu’à assumer un caractère supérieur. Elle
devint lutte politique révolutionnaire, lutte pour abattre
l’État de la bourgeoisie, construire leur propre État et,
grâce au pouvoir conquis, créer un nouveau système de
production et un nouvel ordre social, éliminer l’exploitation
et son expression historique : la division de la société en
classes”. Dans ce troisième moment,la classe ouvrière comprend que ses propres intérêts de
classe sont les intérêts de toute la société.
Dans
ce troisième moment, le rapport entre classes est inévitablement
destiné à devenir un rapport de guerre entendu au sens
classique, c-à-d. un rapport de force
militaire.
Gramsci affirme que la confrontation militaire est un passage
obligé de la révolution socialiste. C’est précisément sur ce
point que s’est concentré le principal travestissement de
Gramsci par les révisionnistes modernes, depuis Togliatti et le
8e Congrès du PCI (1956), qui a consacré la voie pacifique et
parlementaire au socialisme comme doctrine officielle du Parti.
Quant à ceux qui, à la
différence des révisionnistes, sont pour la révolution
socialiste, mais non pour la révolution socialiste qui se
construit comme une guerre mais pour la révolution socialiste
qui éclate, Gramsci démontre par l’expérience qu’il n’est jamais
certain que les crises économiques génèrent automatiquement des
insurrections. La dégradation des conditions économiques ne
génère pas nécessairement la mobilisation des masses populaires
dans un sens révolutionnaire, et à l’opposé la mobilisation des
masses populaires dans un sens révolutionnaire ne requiers pas
que les conditions économiques soient à un degré déterminé
d’intolérabilité. Que les masses populaires se mobilisent dans
un sens révolutionnaire dépend de l’action d’un Parti qui guide
leur parcours de bataille en bataille, de campagne en campagne,
jusqu’à culminer dans le rapport
militaire décisif, c’est-à-dire
jusqu’au moment où la bourgeoisie impérialiste, qui défend son
propre régime, est contrainte soit à battre en retraite soit
à recourir à la guerre civile. Ce parcours est décrit ici en détail par Gramsci : il
s’agit de trouver les points faibles
de l’ennemi, là où le coup est le plus efficace, de comprendre
quelles sont les opérations
tactiques immédiates, … comment peut-on le mieux mener une
campagne d’agitation politique, quel langage sera le mieux
compris des masses etc.
Tout
ceci est précisément le développement de la GPR de LD dans un
pays impérialiste comme l’Italie, dont Gramsci décrit ici la
première phase, la phase de défensive stratégique, lorsque la
supériorité de la bourgeoisie est écrasante. Le Parti communiste
doit accumuler des forces révolutionnaires. Recueillir autour
de lui (dans les organisations de masse et le front) et en lui
(dans les organisations du Parti) les forces révolutionnaires,
étendre sa présence et son influence, éduquer les forces
révolutionnaires à la lutte en les menant à lutter. La
progression du nouveau pouvoir se mesure à la quantité des
forces révolutionnaires recueillies dans le front et au niveau
de ces forces. Dans cette phase l’objectif principal n’est pas
l’élimination des forces ennemies, mais de recueillir parmi
les masses populaires les forces révolutionnaires, étendre
l’influence et la direction du Parti communiste, élever le
niveau des forces révolutionnaires : renforcer leur conscience
et leur organisation, les rendre mieux capables de combattre,
rendre leur lutte contre la bourgeoisie plus efficace, élever
leur niveau de combattivité.(24)
24.
MP, pp. 203-204. Gramsci se réfère à l’accumulation des forces
révolutionnaires en parlant de force organisée en permanence
et prédisposée de longue date. (CP, p. 1588 (C13 §17))
6. La révolution
socialiste n’éclate pas
Il y a la spontanéité et il y
a le spontanéisme. Gramsci critique ceux qui par principe
refusent de donner au processus révolutionnaire une direction
consciente,(25) ceux
selon qui une direction de ce genre signifie emprisonner,
schématiser, appauvrir le processus révolutionnaire. Un exemple
actuel de cette tendance mouvementiste est la tentative de
construire un mouvement Anticapitaliste et Libertaire (Assemblée
de Bologne, 11 mai 2013).(26)
25.
CP, pp. 328-332 (C3 §48).
26.
Voir
la critique diffusée par le nouveau PCI dans l’Avis aux navigants
n°18,
5 mai 2013 ici : www.nuovopci.it/dfa/avvnav18/avvnav18.html.
· Il se proclame mouvement, non dans le sens où il veut seulement unir des
organisations et des classes diverses, indépendamment de leur
orientation particulière dans d’autres domaines, dans une
bataille politique concrète, mais dans le sens où il veut se
déclarer contre l’état actuel des choses (le capitalisme), mais
refuse l’instauration du socialisme, le Parti communiste et la
conception communiste du monde (donc se place sur le terrain de
la gauche bourgeoise).
· Il est contre quelque
chose (contre le capitalisme), mais non pour quelque chose (le socialisme
et le communisme). Qui veut être “pour”, doit faire des plans,
s’organiser, comme chaque fois que l’on veut construire quelque
chose, quelle qu’elle soit.
· Il est libertaire,
c’est-à-dire qu’il proclame la liberté en général, mais ne dit
pas “liberté des masses populaires vis-à-vis du capitalisme” :
il utilise le terme “libertaire” car c’est celui utilisé par les
tendances anarchistes qui refusent tout schéma, organisation,
imposition, règle, discipline, d’où qu’elles viennent : même
celles qu’un collectif se donne, même celles que la lutte
elle-même requiert. Elles les refusent au point de renoncer à la
lutte et de rester au capitalisme.
La liberté et le mouvement dont il s’agit dans
cette énième tentative sont ceux de l’eau qui est libre d’aller
vers le bas. Il n’y a pas de pensée, pas de réflexion, pas de
bilan de l’expérience de ceux qui avant nous ont lutté, du
pourquoi et du comment ils ont gagné ou perdu, il n’y a pas de
programme pour l’avenir, et donc pas d’élan. Tout se réduit, au
final, au contraire de la liberté, à une réaction mécanique (à la manière d’un mécanisme qui ne se meut pas par un
mouvement propre, mais par l’impulsion qu’il reçoit d’un autre)
à l’attaque de l’ennemi, qui au contraire dispose d’armées
organisées (qui depuis l’Antiquité romaine, et même avant, ont
démontré pouvoir vaincre des masses en révolte inorganisée, même
en nombre dix fois supérieur) et d’un plan pour maintenir son
pouvoir, etc.
Gramsci
explique ici comment ce qui se veut liberté se renverse en
riposte mécanique et expression de subalternité vis-à-vis de la
classe ennemie, car elle ne se qualifie pas par elle-même, par
ce qu’elle veut construire, mais par l’ennemi auquel elle
s’oppose, et donc dépend de lui, à la
manière dont un travailleur dépend du patron. Si un groupe ne s’efforce pas de se créer une
science propre de la réalité et de l’histoire, ses analyses sont
en définitive celles de la propagande bourgeoise, sont tirées
des journaux et des livres de la bourgeoisie, fut-ce “lus à
l’envers” (en les critiquant, en les dénonçant, en s’indignant,
etc.). Ceux qui évoluent dans ce sens ne soupçonnent même
pas que leur histoire puisse avoir une quelconque importance, dit ici
Gramsci. Quand ils s’occupent de cette histoire, ils le font
quant au contenu en utilisant en économie, politique,
philosophie les critères et les données fournies par la
bourgeoisie, conformes à la conception bourgeoise du monde.
Quant à la forme, soit ils parlent et n’agissent pas, et ne
courent donc pas le risque d’être démentis, soit ils séparent la
parole de l’action, ne reflètent pas la parole dans la pratique,
n’apprennent pas des erreurs. Quand ils remportent un succès,
ils ne l’utilisent pas comme base pour construire le nouveau
Pouvoir, ni comme base pour passer à une lutte de niveau
supérieur. Ce que nous avons bien vu l’an dernier : passées les
grandes manifestations du 31 mars et du 27 octobre 2012, l’état
d’esprit prédominant parmi leurs promoteurs était : et
maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
Les conditions objectives qui
poussent les masses populaires à se mobiliser pour créer une
nouvelle société (qui rendent nécessaire sa création car ne pas
la créer amène des catastrophes plus graves encore) existent
depuis longtemps, et donc leur mouvement est spontané comme l’eau du fleuve qui va à la mer. Mais elle est
différente de l’eau du fleuve qui va à la mer, car il s’agit
d’êtres humains. Ceux-ci ont besoin de se représenter le chemin
qu’ils parcourent : l’eau ne va à la mer qu’à des conditions
déterminées.
‘‘Cette unité de la
«spontanéité» et de la «direction consciente», c’est-à-dire de
la «discipline» est précisément l’action politique réelle des
classes subalternes, en tant que politique de masse et non
simple aventure de groupes qui se réclament des masses’’ dit Gramsci, et il ajoute que renoncer à leur
donner une direction consciente, à les élever à un niveau
supérieur
signifie laisser le champ libre à la bourgeoisie impérialiste,
qui dévie la mobilisation des masses populaires dans un sens
réactionnaire. La mobilisation des masses dans un sens
réactionnaire (fascisme, guerre) est le fruit de la
renonciation des groupes responsables
[des communistes, ndr] à donner une
direction consciente aux mouvements spontanés et à les faire
devenir dès lors un facteur politique positif.
Celui qui nie le principe selon lequel la révolution se
construit, qu’elle doit être dirigée, et dirigée comme une
guerre populaire révolutionnaire, celui qui espère “que les
masses bougent” et ne voit pas que les masses sont déjà en
mouvement (mais bien sûr, à la manière dont les masses opprimées
peuvent l’être lorsqu’elles n’ont ni objectif conscient et
juste, ni organisation ni direction), laisse un espace vide qui
est occupé par la réaction. Tous ceux qui peuvent aujourd’hui
assumer le rôle de gouvernement du pays, en Comités de
Libération Nationale, en Administrations Locales d’Urgence, en
un Gouvernement de Salut National, en somme en organismes qui
mobilisent les masses populaires contre la guerre que la
bourgeoisie impérialiste leur livre, et hésitent à le faire,
sont en hésitant ainsi objectivement responsables de la
mobilisation réactionnaire des masses populaires.
Les mouvementistes s’opposent
à faire des plans. Selon eux, dit Gramsci, tout plan préétabli
est utopique et réactionnaire.(27) Quiconque s’est adressé aux mouvementistes en leur montrant
comme nécessaire un parcours vers l’objectif de la
transformation révolutionnaire, s’est entendu répondre que le
parcours indiqué était une imposition, une tentative de mettre
en cage, de briser les ailes du mouvement spontané, et qu’ainsi
le plan était réactionnaire et que prévoir un parcours concret vers la révolution était
utopique.
27.
CP, p. 1557 (C13 §1).
Ce
type de réponse est l’expression d’une tendance générale,
répandue dans les masses populaires et expression de leur
subalternité, expression du fait d’être encore sous l’influence
de la conception bourgeoise dans leur conscience. Il est clair
que la bourgeoisie a intérêt à combattre l’élaboration de tout
plan visant à renverser son pouvoir, et il est encore plus clair
que son intérêt est de déclarer cet objectif irréalisable. Le
maximum que la bourgeoisie impérialiste peut concéder aux masses
populaires est qu’elles rêvent à la révolution comme quelque
chose que l’on voudrait, mais qui ne pourra jamais exister. Des
héros admissibles sont ceux qui y ont cru et ont perdu (ont été
vaincus), ce qui prouverait que ce rêve est irréalisable. Che
Guevara en est l’exemple le plus connu. Qui a au contraire guidé
les masses populaires à la victoire, comme Staline qui les guida
à la victoire contre les nazi-fascistes, est un “dictateur” et
un “réactionnaire” a priori.
Qui est seulement contre, attend
l’insurrection et ne fait pas de plans, s’exalte face à chaque
mobilisation spontanée des masses populaires pour ensuite tomber
en dépression quand cette mobilisation prend fin. Car qu’elle
prenne fin est inévitable : si l’on présume qu’elle est une
chose naturelle, elle a un début et une fin, comme un orage, s’éparpillant en une
infinité de volontés individuelles,dit Gramsci.(28) Telle est l’histoire de beaucoup de
regroupements comme Unis contre la Crise, Comité Non à la Dette,
Comité NoMontiDay, pour ne citer que les plus connus et actifs
ces deux dernières années : des groupes qui surgissent dans des
circonstances déterminées, produisent des initiatives où la
participation des masses populaires dépasse leurs espérances, ce
qu’ils ne savent pas gérer justement parce qu’ils n’ont pas de
ligne, pas de “plan préétabli”, leurs promoteurs faisant alors
machine arrière comme des apprentis sorciers incapables de gérer
les “pouvoirs simples et magiques” dont était capable de parler,
le 6 avril 2013, un enfant de cinquième élémentaire [CM2 - NdT]
de la province d’Avellino, faisant référence à la classe
ouvrière.
28.
CP, p. 1557 (C3 §1).
En somme, pour ne pas
vouloir se donner des règles conformes aux exigences de la
réalité, pour ne pas vouloir apprendre la dialectique entre
liberté et nécessité ; pour vouloir
rester “libres” dans le sens de ne pas vouloir être encadrés
dans aucun parti, de ne vouloir suivre aucun plan, et encore
moins tenter une expérience jamais tentée, la révolution dans un
pays impérialiste, chose tellement neuve et pleine de risques
que la proposer sans analyse et sans plan est d’une
irresponsabilité confinant au crime ; pour vouloir garder cette attitude infantile et inacceptable
dans toute activité humaine un minimum complexe ; l’on finit par
être le contraire de libres, l’on finit par être des
marionnettes entre les mains de l’ennemi.
Dans le §7 du Carnet 13, Gramsci dit que la révolution comme insurrection
fonctionne pour la bourgeoisie de la Révolution Française (1789)
jusqu’au moment où la classe ouvrière surgit comme nouvelle
classe révolutionnaire (1848). Passée cette date, la bourgeoisie
cesse d’être une classe révolutionnaire en lutte contre le
clergé et les nobles, et se met en état de guerre contre
la classe ouvrière. La guerre contre la classe ouvrière, la
bourgeoisie la prépare minutieusement et
techniquement en temps de paix,avec quantité de tranchées et
fortifications dans la structure massive des
démocraties modernes, tant comme organisations étatiques que
comme ensemble des relations dans la vie civile.(29)
29.
CP, pp. 1566-1567 (C13 §7).
Cette
structure
massive des démocraties modernes est le régime de
contre-révolution préventive. La révolution ‘pousse’, c’est un
mouvement objectif, et la bourgeoisie construit un appareil
fignolé dans ses moindres détails pour contrer la volonté et la
nécessité de participation et d’auto-gouvernement des masse
populaires, contre le moindre délégué syndical non asservi,
contre le centre social autogéré, contre un Mouvement Cinq
Étoiles [de Beppe Grillo] qui n’accepte pas les normes
préétablies pour participer au petit théâtre de la lutte
politique bourgeoise, et surtout contre la plus grande
expression d’autonomie et d’indépendance de la classe ouvrière
et des masses populaires, le Parti communiste. Cet appareil est
précisément la contre-révolution préventive, appliquée dans les
pays impérialistes. Contre cet appareil, la stratégie des
communistes est la GPR de LD, par laquelle l'accumulation de
forces et la conquête de nouveaux territoires (l'expansion de
l’hégémonie sur les masses populaires aux dépens de la
bourgeoisie) sont un travail tout aussi minutieux, qui pas à pas
amène à l’affrontement militaire proprement dit.
Gramsci explique combien est
impossible une guerre de mouvement qui enfonce les lignes
ennemies et par laquelle l’on s’empare des centres de pouvoir,
lorsque derrière ces lignes ennemies il y a tout un appareil
dont elles ne sont que le premier front.(30)
La société, dit-il, est devenue une
structure extrêmement complexe et résistante aux
“irruptions” catastrophiques de l’élément économique
immédiat (crises, dépressions)
; les
superstructures de la société civile sont comme le système des
tranchées dans la guerre moderne (…) ni le troupes
assaillantes, par l’effet de la crise, ne s’organisent [spontanément
ou sous une direction ‘insurrectionnelle’ - NdT] de manière
fulgurante dans le temps et l’espace, ni encore moins elles
n’acquièrent un esprit agressif. Le conseil de Gramsci est d’étudier la Révolution
d’Octobre à la lumière de la théorie de la GPR de LD. À ceci
nous pouvons ajouter que depuis la victoire de la Révolution
d’Octobre, la bourgeoisie impérialiste a pris toutes les
contre-mesures dont elle est capable pour ne pas se faire
surprendre par une quelconque insurrection.
30.
CP, p.1615-1616 (C13 §24).
Qui a la prétention de faire
irruption dans le camp ennemi, de semer parmi les troupes
adverses une panique et une confusion irréversible, d’organiser
ses propres troupes à l’improviste, de mettre tout aussi à
l’improviste ses cadres existants en position de direction
immédiatement reconnue par une population en révolte, d’unir
immédiatement cette population vers un objectif commun, est un
mystique, dit Gramsci.(31)
De fait, qui raisonne en ces termes religieux reste statique en
attendant que quelqu’un d’autre commence, ou que quelqu’un
vienne de l’extérieur apporter la révolution, de Russie ou de
Chine hier, des peuples opprimés aujourd’hui (de la Palestine,
de l’Inde, du Népal ou de pays comme le Venezuela ou Cuba, selon
les tendances préférées).(32)
31.
CP, p. 1614 (C13 §24).
32.
CP, p. 1730 (C14 §68).
L’examen des positions de
Gramsci confirme son anticipation de l’un des fondements de la
théorie révolutionnaire, à savoir la stratégie de GPR de LD,
l’une des contributions les plus importantes du maoïsme à la
science révolutionnaire, à la conception communiste du monde.(33) Gramsci,
outre
cela, a apporté d’autres anticipations très importantes. L’étude
en cours de l’œuvre de Gramsci permet de récupérer ces
précieuses anticipations que Gramsci a élaborées, pour donner
toute sa valeur à sa stature de dirigeant du mouvement
communiste au niveau national et international, et surtout pour
continuer son œuvre jusqu’à la réalisation des objectifs pour
lesquels il a donné sa vie.
Folco R.
33.
L’étude est basée sur les références de Gramsci aux deux formes
opposées de stratégie pour la révolution, c-à-d l’insurrection
et la GPR de LD, appelées ici guerre de mouvement et guerre de position,
du Dictionnaire gramscien sous la direction de
Guido Liguori et Pasquale Voza (Carocci editore, Urbino, 2011).