Les premiers pays socialistes

giovedì 1 luglio 2004.
 

 

Les premiers pays socialistes

par Marco Martinengo

 

 

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EDIZIONI RAPPORTI SOCIALI

 

2003

 

 

 

Traduction française éditée par la Commission Préparatoire (CP)

du congrès de fondation du (nouveau) Parti communiste italien

Les premiers pays socialistes

 

Par Marco Martinengo

Cette brochure a été publiée à l’occasion du 50ème anniversaire de la mort de Staline (NdT)

 

 

Plan de la brochure

 

 

Étudier l’expérience historique des premiers pays socialistes, plutôt que la biographie de Staline (conception marxiste et conception bourgeoise de l’histoire).

 

Ce n’est pas l’expérience historique des premiers pays socialistes, mais l’expérience de la société bourgeoise qui a démontré que l’avènement de la société communiste est inévitable.

 

Brève esquisse de la formation, de l’ascension et du déclin des premiers pays socialistes.

 

Le rôle historique des premiers pays socialistes.

 

Les premiers pays socialistes ont démontré que la bourgeoisie n’est pas en mesure de vaincre un pays socialiste en l’agressant ou en l’assiégeant (c’est à dire de l’extérieur).

 

Ce qui a rendu impossible pour la bourgeoisie de vaincre un pays socialiste, ce fut l’unité entre la ligne de transformation communiste de la société et les méthodes de direction mises en oeuvre par les partis communistes.

 

Ces méthodes de direction ne furent efficaces que parce qu’ils appliquèrent une ligne de transformation communiste de la société et tant qu’ils le firent.

 

Pourquoi et comment les premiers pays socialistes subirent l’usure qui les a conduits à l’effondrement.

 

Conclusions : les principaux enseignements des premiers pays socialistes pour la seconde vague de la révolution prolétarienne.

 


 

 

1. 

Nous devons profiter du cinquantième anniversaire de la mort de Staline (5 mars 1953) pour étudier l’expérience des premiers pays socialistes et la faire connaître.

 

S’ils interviennent à propos de cet anniversaire, les bourgeois, et tous ceux qui, par leur conception du monde, restent sous l’influence de la bourgeoisie discuteront de la personne de Staline (1879-1953), de ses caractéristiques et de son rôle dans l’histoire. La bourgeoisie de par sa nature a une conception fortement individualiste de l’histoire. Même si elle a reconnu que ce n’est pas Dieu qui fait l’histoire des hommes, elle reste sur la conviction que, dans le bien ou dans le mal, ce sont les grands personnages qui la font. Pour elle les premiers pays socialistes sont une création des grands personnages qui les dirigèrent. La majorité des bourgeois qui s’intéresseront à l’anniversaire sortiront de leurs armoires des discours plus ou moins élaborés sur « les crimes de Staline et du stalinisme ». Il est inévitable qu’il en soit ainsi. Effectivement pour les bourgeois, pendant des décennies, Staline a personnifié le cauchemar de la fin de leurs valeurs et de leurs privilèges, le cauchemar que les premiers pays socialistes ont fait peser sur leur existence. Ceux qui voudront se distinguer concèderons que l’homme avait aussi des qualités. Ceux qui voudront faire impression sur les habitués de leurs salons soutiendront que ce fut un homme de grande qualité. Ce sont là des discours qui ne nous intéressent pas. Ils ont un objectif politique commun : dénigrer l’expérience des premiers pays socialistes ou au moins distraire l’attention de cette expérience, qui aujourd’hui est au contraire d’une grande importance pour l’histoire future de l’humanité. De plus, c’est une source d’enseignement importante et actuelle pour les tâches qui nous attendent dans cette phase de renaissance du mouvement communiste.

 

La conception marxiste de l’histoire, qui est la nôtre, reconnaît bien sûr qu’il y a des différences entre les rôles joués par des individus dans la vie sociale et dans l’histoire. Et Staline a eu un grand rôle dans l’expérience des premiers pays socialistes(1). Il a dirigé pendant environ 30 ans le parti communiste du premier et plus important pays socialiste, l’Union Soviétique. Il a personnifié d’un bout à l’autre du monde les espoirs, les passions et les initiatives que ce pays a suscités et alimentés dans les classes et dans les peuples opprimés durant une grande partie du siècle passé. Pendant des décennies, « faire comme la Russie » fut la lumière qui illuminait la vie de millions d’hommes et de femmes opprimés et la menace qui troublait la vie des bourgeois, des nobles, du clergé et des riches en général. Mais il n’est possible de caractériser correctement les rôles différents des individus, même des plus importants, que sur la base de la compréhension des caractéristiques du mouvement social au sein duquel ils ont agi. Le même individu avec les mêmes caractéristiques personnelles si, par hypothèse, il accomplit les mêmes actions dans des contextes et des circonstances sociales différentes, conduit à des faits et à des phénomènes absolument différents, qui peuvent être carrément opposés. Prenons un homme plein d’élan et d’agressivité : dans une bataille il peut être un soldat apprécié; de retour à la vie civile il risque de ne pas réussir à s’intégrer dans la société. Prenons un ouvrier passionné par son propre travail : dans la société capitaliste il risque d’être manipulé par son patron et peu enclin à participer à la lutte des classes ; dans le socialisme, il y a une forte probabilité qu’il devienne un élément d’avant-garde.

 

Ce n’est pas un hasard si, depuis que la bourgeoisie est entrée dans la phase impérialiste, elle refuse d’analyser le contexte social concret et de trouver dans les relations avec celui-ci la signification des actions des individus : parce que si nous nous demandons quel rôle ils ont eu dans la résolution des problèmes fondamentaux de leur époque, le rôle négatif de ses représentants apparaît, même pour les plus célèbres dans l’actuelle phase impérialiste. Si par contre on construit l’histoire avec la conception bourgeoise, le champ reste ouvert à toute escroquerie et à toute invention. Soudain, à la fin du mois de janvier de cette année, on a dit à nous italiens que nous avions eu pendant des années parmi nous un génie et un saint, un « avocat des travailleurs » : Giovanni Agnelli, que les ouvriers italiens avaient supporté pendant des années dans le rôle de l’exploiteur. Et Gabriel Nizzim, inventeur de l’initiative sioniste le « Jardin des Justes du monde entier », théorise : « Qu’importe que quelqu’un soit fasciste, communiste ou fondamentaliste : l’important c’est qu’il sache reconnaître le mal et choisir l’homme ». Qui est cet homme, qu’un fasciste ou un communiste reconnaîtraient également, cela reste un mystère tant qu’on ne replace pas la phrase de Nizzim dans son contexte. Car alors elle se révèle être la thèse raciste où l’homme c’est le juif persécuté et il est aussi bien d’être fasciste à condition d’aider les juifs, qui pour Nizzim sont encore le « peuple élu ».

 

Nous ne devons pas nous laisser détourner de l’expérience historique des premiers pays socialistes par des discours (qu’ils soient détracteurs ou louangeurs) sur les caractéristiques personnelles de Staline. C’est seulement en les étudiant dans leur contexte historique concret que nous pourrons déterminer les mérites et les erreurs des dirigeants communistes qui, comme Staline, ont dirigé cette grande et titanesque entreprise dont nous parlerons par la suite. D’autant plus que, dans la période actuelle, pour qui veut être communiste, il est particulièrement important et urgent de connaître, étudier et comprendre l’expérience historique des premiers pays socialistes. Face au marasme économique, politique et culturel dans lequel le monde a plongé, la classe dominante, et les individus à son service ou esclaves de son influence idéologique, affirment que « de toute façon un monde différent n’est pas possible », que « de toute façon un système social différent n’est pas possible » ; ils cherchent à pousser à la résignation et au désespoir, ou dans le meilleur des cas à chercher à contenir les excès et à réparer ici et là les brèches les plus intolérables de la société actuelle. Les bourgeois plus progressistes arrivent à prêcher et pratiquer la charité et la bienfaisance : ils reconnaissent que même les prolétaires ont droit à manger à leur faim. Les plus audacieux en viennent à exhorter les représentants de la classe dominante « de créer un fond international pour mettre fin à la faim et à la misère » ! Les bourgeois combinent l’oubli et le dénigrement des premiers pays socialistes pour empêcher que se diffuse la conscience qu’un monde différent, un système social différent non seulement est possible, mais qu’il a déjà fait les premiers pas, a fait ses premiers essais, dans les premiers pays socialistes construits par la première vague de la révolution prolétarienne, dans la première moitié du siècle qui vient juste de s’achever.

 

Pourquoi la bourgeoisie et ses disciples traitent-ils les premiers pays socialistes comme le mouton noir de l’histoire de l’humanité ? Nous sommes plongés depuis presque 30 ans dans la seconde crise générale du capitalisme. La classe dominante, la bourgeoisie impérialiste, a tout intérêt à cacher ou dénigrer l’expérience de ces pays qui naquirent en tant qu’issue à la première crise générale du capitalisme (1910-1945) et qui pour quelques décennies ont soustrait à la domination de la bourgeoisie impérialiste jusqu’au tiers de l’humanité. Nôtre intérêt et l’intérêt de tous ceux qui cherchent une issue au marasme actuel de la seconde crise générale du capitalisme à étudier avec soin cette expérience sont tout aussi évidents. 

 

 


« A la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » (Manifeste du Parti communiste, 1848, chap. 2)


 

2.

La compréhension que la société bourgeoise laissera tôt ou tard la place à la société communiste n’est pas la conséquence de l’apparition des premiers pays socialistes et des avantages qu’ils offraient. Cette conscience préexistait à l’instauration des premiers pays socialistes. Elle avait précédé de soixante-dix ans la révolution d’Octobre (1917) qui marqua le début de l’instauration du premier des pays socialistes, l’Union soviétique, sur une grande partie du territoire sur lequel jusqu’alors s’était étendu l’empire du Tzar de Russie. Que la société communiste se substituerait inévitablement, tôt ou tard, à la société bourgeoise, c’est une découverte faite par Marx et Engels dans la première moitié du siècle XIX, il y a environ 150 ans, sur la base de l’étude de l’évolution de la société bourgeoise et de ce qu’elle représentait dans l’histoire de l’humanité. Dans le Manifeste du parti communiste (1848) ils annoncent et expliquent cette découverte. Les hommes ont désormais construit des forces productives matérielles et intellectuelles suffisantes pour ne plus être forcés de vivre dans la précarité et de passer une grande partie de leur vie à tenter d’arracher à la nature ce qui leur est nécessaire pour vivre. Les forces productives qui permettent ce passage historique ont un caractère collectif. Ces deux facteurs, que les hommes ont créés et qu’ils développent constamment sous la direction de la bourgeoisie elle-même, rendent possible et nécessaire l’avènement de la société communiste. Avec la précision et la sûreté avec laquelle, face à une femme enceinte on peut dire que tôt ou tard naîtra un nouvel homme sans attendre qu’il soit effectivement né et sans prendre en compte la façon et quand il naîtra et ce qui arrivera durant sa vie future. L’évolution que la société bourgeoise et l’humanité dans son ensemble ont accomplie dans les 150 ans écoulés depuis que Marx et Engels firent cette découverte, l’a confirmé pleinement. Nous sommes aujourd’hui capables de mesurer les pas effectués par l’humanité vers cet accouchement, vers cette transformation, même si nous ne sommes pas encore en mesure d’établir à quel moment et dans quelles formes elle se réalisera. Parce qu’il s’agit d’une création que les hommes, plus particulièrement les ouvriers et les masses populaires sous leur direction, accompliront librement : c’est-à-dire en essayant, en corrigeant et essayant à nouveau, comme il est advenu pour toutes les grandes transformations historiques que les hommes ont accomplies dans les 5.000 ans que nous connaissons de leur existence. Il n’existe ni Dieu ni génie qui sait déjà tout et nous guide : cet accouchement ne peut donc se produire qu’avec l’intervention active, visant ce but des grandes masses mobilisées, organisées et dirigées par des partis communistes : « la violence est l’accoucheuse de l’histoire ». Mais ceci est un sujet différent de celui que nous voulons aborder maintenant.

 

Nous voulons maintenant au contraire nous occuper surtout 1. des formes qu’ont eu les premiers pays socialistes, 2. des enseignements qu’ils ont apportés à ceux qui aujourd’hui luttent contre la bourgeoisie impérialiste et contre les autres forces conservatrices et réactionnaires.

 

Pour tirer de l’expérience des premiers pays socialistes les enseignements qu’elle contient, il faut évaluer les pays socialistes avec les catégories qui leurs sont propres. Il faut les considérer comme une formation économico-sociale nouvellement apparue dans l’histoire et l’étude doit découvrir ses catégories et ses contradictions spécifiques. Si nous devons étudier une nouvelle espèce animale, nous n’aboutirons à rien si nous nous limitons à la comparer à une autre que nous connaissons déjà. Il faut en particulier éviter « de mesurer les pays socialistes avec le mètre des pays capitalistes ». Persister à le faire et chercher à assimiler le système économico-social des premiers pays socialistes ou au capitalisme d’État, ou au despotisme asiatique, ou à quelqu’autre formation économico-sociale du passé, c’est se mettre dans une position analogue à celle de ces représentants du monde féodal qui pendant des siècles, tout au long de la période de l’affirmation du mode de production capitaliste et de la société bourgeoise, persistèrent à évaluer la nouvelle société qui apparaissait avec le mètre de la vieille. Aujourd’hui il saute aux yeux que dans leur jugement sur les bourgeois, leurs activités, leurs coutumes et leurs caractères, l’incapacité des auteurs était au moins égale au mépris dont ils étaient empreints et à la condamnation du nouveau monde qu’ils ont cru pouvoir porter.

 

Les premiers pays socialistes ont été la première tentative pratique et sur une grande échelle effectuée par la classe ouvrière moderne pour conduire l’ensemble des travailleurs, jusqu’alors exploités et opprimés, à abandonner leur condition servile et les conceptions et habitudes liées à celle-ci, fruit d’une histoire millénaire de division en classes ; ils ont cherché à créer des relations sociales et des conceptions basées sur l’association des travailleurs, instaurant de plus en plus la domination de ces mêmes travailleurs associés sur leurs activités et sur eux-mêmes, marchant ainsi pas à pas vers la société communiste. Il est inutile d’étudier cette expérience pour qui n’est pas convaincu que ceci est la tâche historique à laquelle les premiers pays socialistes se sont consacrés ; il vaudrait mieux dans ce cas étudier l’expérience des pays capitalistes jusqu’à comprendre où conduit le mouvement de leurs contradictions spécifiques. Pour qui voit clairement le rôle historique des pays socialistes, pour recueillir les enseignements de l’expérience des premiers d’entre eux, il faut se demander : jusqu’où sont arrivés les premiers pays socialistes dans la réalisation de leurs tâches avant d’inverser la direction de leur marche ? Comment, à travers quelles mesures, institutions et mouvements, y sont-ils parvenus ?

 

 

3. 

Le premier pays socialiste, l’Union soviétique, fut constitué pendant la première guerre inter-impérialiste (1914-1918), puis en 1924 naquit la République Populaire de la Mongolie. La deuxième guerre inter-impérialiste (1939-1945) conduisit à la création des 8 démocraties populaires de l’Europe Orientale (Albanie, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Pologne, République Démocratique Allemande, Roumanie, Hongrie) et de celle de Corée du Nord. En 1949 fut constituée la République populaire de Chine. Dans les 25 années suivantes se formèrent des pays socialistes à Cuba, au Vietnam, au Laos et au Cambodge. Au maximum de leur extension, les premiers pays socialistes comprirent un tiers de l’humanité. Au milieu des années 50 en Union soviétique et dans les démocraties populaires d’Europe Orientale commença la restauration graduelle et pacifique du capitalisme qui se poursuivit jusqu’à l’implosion et à l’effondrement autour de 1990 (2). La RPC avec le coup d’État de 1976 contre « la bande des quatre », sanctionné par la Résolution sur l’histoire du Parti communiste chinois (1949-1981) approuvée le 27 juin 1981, entra à son tour dans la phase de restauration graduelle et pacifique du capitalisme (qui est encore en cours, sous une forme différente par certains aspects de celle suivie par l’URSS : il s’est déjà formé un secteur de l’économie dans lequel est déjà en vigueur la propriété privée des moyens de production et le marché de la force de travail). Le tournant politique pris à la fin des années 70 a de toute façon liquidé le rôle de la RPC et du PCC dans le mouvement communiste international ; il a déjà détruit beaucoup des conquêtes accomplies par les masses populaires et les ouvriers chinois ; il a renforcé fortement la bourgeoisie et a fait surgir de graves contradictions nationales qui minent déjà aujourd’hui le régime politique de la République populaire de Chine. Pour sa vie économique, la RPC aujourd’hui est liée de façon substantielle aux investissements directs et financiers des groupes impérialistes internationaux et aux exportations en particulier vers les USA (en 2002 la balance commerciale avec les USA a atteint un excédent en faveur de la RPC d’environ 100 milliards de dollars, pour, dans la même année, un Produit intérieur brut de la RPC d’environ 2.000 milliards de dollars). Donc la RPC dépend du système impérialiste mondial plus que l’Union soviétique en dépendait à l’époque de Brejnev (1964-1982).

 

Quant aux autres pays de l’ex-camp socialiste, les partis communistes qui dirigent Cuba, la Corée du Nord, le Vietnam et le Laos déclarent toujours suivre une ligne socialiste. Les relations existant actuellement entre partis et organisations du mouvement communiste international sont rares et superficielles et nos forces actuelles encore faibles : nous ne sommes pas donc en mesure de connaître suffisamment l’orientation qu’ils suivent effectivement. Pour aucun de ces pays nous ne connaissons quel est, de l’avis des partis communistes respectifs, leur composition de classe et à quel point et dans quelle phase, selon eux, en est la lutte de classe. Mais certainement l’influence révisionniste qu’ils ont subie dans le passé a produit en eux confusion et désorientation idéologiques et nous n’avons pas connaissance qu’ils aient dépassé les limites du vieux mouvement communiste qui ont permis aux révisionnistes d’y prévaloir. Après l’effondrement du camp socialiste en 1989-91, ils ont dû, avec des forces extrêmement réduites, faire face non seulement à la lutte des classes à l’intérieur, mais aussi à une situation internationale très défavorable. Pour faire face aux difficultés, ils ont fait et font dans beaucoup de domaines des concessions à la bourgeoisie intérieure et au capital international ; celles-ci peuvent être des reculs momentanés nécessaires pour gagner du temps, mais en même temps elles ont une influence désagrégeante sur certains membres du parti, surtout sur ses éléments non ouvriers, renforcent les partisans de la restauration du capitalisme et affaiblissent la résistance du pays à l’impérialisme. Tout cela fait qu’ils ne jouent pas actuellement dans la renaissance du mouvement communiste en cours au niveau mondial, un rôle d’avant-garde tel qu’il soit pour nous indispensable ou urgent de connaître et de comprendre leur orientation et leur activité. Nous saluons toutefois, et dans les limites de nos forces nous soutenons, leur résistance face aux efforts accomplis par les groupes impérialistes, en particulier par les groupes impérialistes des USA, pour promouvoir chez eux la contre-révolution, éliminer les conquêtes socialistes, les soumettre à leur domination et les détruire. Avec leur résistance, ils contribuent à la renaissance du mouvement communiste.

 

De cette brève esquisse, il résulte que le rôle des premiers pays socialistes, comme protagonistes directs d’avant-garde du mouvement communiste au niveau mondial, s’est substantiellement tari. L’effondrement du camp socialiste a influé négativement sur la lutte entre les deux voies, les deux classes et les deux lignes partout dans le monde. Il a fait reculer l’horloge de l’histoire et il nous force à parcourir à nouveau une partie du chemin que nous avions déjà parcouru. Nous le reparcourrons cependant dans des conditions en partie différentes et riches de l’expérience des premiers pays socialistes. Pour nous aujourd’hui il s’agit principalement de comprendre les enseignements de la grande et historique expérience des premiers pays socialistes pour les employer dans la renaissance du mouvement communiste en cours et dans la seconde vague de la révolution prolétarienne qui s’approche au fur et à mesure que progressent la deuxième crise générale du capitalisme et la situation révolutionnaire en développement qui en résulte. 

 

 

4. 

Quel fut le rôle des premiers pays socialistes dans l’histoire ? Les premiers pays socialistes ne créèrent pas la société communiste, ni ne pouvaient le faire. Ils ont parcouru une partie du chemin qui conduit de la société capitaliste à la société communiste.

 

Par nature, la société communiste sera internationale, étendue au monde entier. Les premiers pays socialistes par contre n’arrivèrent à couvrir qu’un tiers de l’humanité et ils ne réussirent même pas à fusionner entre eux. Mais, dans de nombreux domaines, ils ont créé des formes nouvelles de collaboration internationale.

 

Par nature dans la société communiste les hommes et les femmes ne seront plus divisés en classes. Dans les premiers pays socialistes par contre survécut la division en classes et il ne pouvait en être autrement. Le marxisme avait déjà expliqué que la division en classes avait été une condition nécessaire au développement de la civilisation et qu’il est impossible de l’abolir d’un seul coup : on la dépasse et elle s’éteint au fur et à mesure que les travailleurs s’organisent et, organisés, se gouvernent tous seuls. Dans la phase socialiste, les communistes amènent les travailleurs à apprendre à le faire.

 

Par nature dans la société communiste il n’existera plus ni État ni politique, en tant que gestion des affaires publiques réservée à une minorité de personnes et qui se concrétise dans l’État, organe distinct du reste de la société, détenant le monopole de la violence avec laquelle il impose cette gestion et maintient un ordre public conforme à celle-ci. Chacun des premiers pays socialistes au contraire fut encore gouverné par un État, quoique, comme nous le verrons, de type particulier.

La société communiste naîtra seulement comme résultat et conclusion d’une période historique de transition, au cours de laquelle, graduellement et par sauts, la division de la population en classes, la politique et l’État seront dépassés, les nations fusionneront, non seulement la propriété privée des forces productives disparaîtra mais aussi les multiples divisions entre le rôle social des travailleurs intellectuels et des travailleurs manuels, entre dirigeants et exécutants, entre les sexes, entre ville et campagne, entre des secteurs, zones et peuples avancés et secteurs, zones et peuples arriérés et les individus disposeront des biens et des services nécessaires à leur vie selon leurs besoins. Cela se produira au fur et à mesure que les forces matérielles et spirituelles des hommes et des femmes se développeront jusqu’à atteindre une situation dans laquelle chaque individu contribuera à la production et aux autres fonctions de la vie sociale selon ses forces et capacités et recevra de la société ce qu’il lui faut selon ses besoins. Une situation dont les premiers pays socialistes étaient encore loin lorsque commença leur périple à reculons vers le capitalisme, la phase d’affaiblissement et la corrosion : en 1956 en ce qui concerne l’URSS et les pays socialistes de l’Europe Orientale, en 1976 en ce qui concerne la République Populaire Chinoise (2). Les pays socialistes réussirent, dans la période de leur développement, à augmenter énormément les forces productives matérielles et intellectuelles. Toutefois ils restèrent loin du niveau qui a été atteint seulement maintenant, au début du XXIème siècle, avec des forces productives parvenues au point où la quantité de biens et services produits est désormais limitée principalement par les rapports de production et non plus par la puissance limitée des forces productives dont les hommes disposent et par la limite des ressources naturelles.

 

Tous les premiers pays socialistes, dans la phase de leur développement, durent par contre affronter principalement la tâche d’augmenter la production avec les forces productives déjà existantes. La nourriture et les autres biens de consommation étaient encore produits en mesure insuffisante pour satisfaire les besoins de chaque personne. Entre-temps, le socialisme s’étant instauré dans des pays arriérés et exposés au boycottage et à l’agression des pays impérialistes, les premiers pays socialistes durent accumuler de façon autonome de nouvelles forces productives : les infrastructures, les outillages, les connaissances et l’expérience nécessaires pour augmenter la production. Aussi la gestion des entreprises agricoles, industrielles et de service existantes et la construction de nouvelles entreprises productives fût le principal devoir social pour les premiers pays socialistes, lorsqu’ils ne furent pas forcés de détourner des forces et des ressources pour se défendre des agressions de la bourgeoisie impérialiste. La lutte contre la nature pour arracher de quoi vivre resta dans tous les premiers pays socialistes la principale activité humaine. Les unités productives des biens essentiels et des moyens de production restèrent les principaux établissements publics et ce fût autour d’elles que s’organisèrent dans un esprit unitaire toutes les autres activités et institutions : la consommation, le logement, l’instruction, l’éducation des enfants, la vie culturelle, etc. Ils vécurent toute la période de leur développement (jusqu’à la moitié des années 50 pour l’URSS et les pays d’Europe Orientale et jusqu’à la fin des années 70 pour la RPC) à l’enseigne de la nécessité imposée par le retard économique et culturel de leur point de départ et par l’agression ouverte ou cachée et le boycottage de la bourgeoisie impérialiste auxquels ils durent constamment faire face. De ce point de vue, l’expérience des premiers pays socialistes fut fortement influencée par le fait que la classe ouvrière pendant la première vague de la révolution prolétarienne (1910-1945) ne parvint pas à conquérir le pouvoir dans les pays impérialistes les plus avancés. Les partis communistes des pays socialistes réalisaient le programme de transformation sociale le plus avancé qu’ait produit le mouvement de la classe ouvrière au niveau mondial, mais ils le réalisaient à partir des conditions de pays à capitalisme encore arriéré.

Nous avons compris seulement après la Révolution d’Octobre 1917 que la conquête du pouvoir par les ouvriers dirigés par leur parti communiste n’était pas suffisante pour instaurer une société communiste. C’était une chose indiquée clairement par Marx au moins à partir de 1875 (Critique du Programme de Gotha). Les premiers pays socialistes ont seulement montré pour la première fois et sur une grande échelle qu’il est possible d’aller du capitalisme au communisme de façon consciente et intentionnelle, en opposition à la marche désordonnée, tourmentée et parsemée de destructions qu’une grande partie de l’humanité accomplit encore. Ils ont montré et expérimenté une voie plus avancée que celle sur laquelle nous sommes encore aujourd’hui. Le déclin et l’effondrement des premiers pays socialistes n’enlèvent rien à la valeur de la démonstration qu’ils ont donnée. Ils nous ont indiqué la route sur laquelle l’humanité devra se placer dans les années à venir pour sortir de la crise actuelle du capitalisme.

 

 


« La dictature du prolétariat est une lutte tenace, sanglante et non sanglante, violente et pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de l’ancienne société. La force de l’habitude de millions d’hommes est la plus terrible des forces. Sans un parti de fer, trempé dans la lutte, sans un parti qui bénéficie de la confiance de tout ce qu’il y a d’honnête dans sa classe, sans un parti qui sait interpréter l’état d’esprit des masses et l’influencer, il est impossible de mener à terme une telle lutte » (Lénine)


 

5. 

Face au déclin et à l’effondrement il y a 12 ans de l’URSS et des démocraties populaires de l’Europe Orientale, il se produisit quelque chose de semblable à ce qui arriva après la défaite de la première tentative d’instaurer un pays socialiste, c’est-à-dire après la défaite de la Commune de Paris en 1871, il y a 130 ans. Les réactionnaires et les conservateurs, de la bourgeoisie au clergé, se plurent à proclamer la mort définitive du communisme et, contradictoirement, à donner la chasse aux communistes. Les communistes (en particulier Marx, Engels, Lénine) étudièrent par contre l’expérience de la Commune de Paris pour comprendre qu’est-ce que nous enseignait ce phénomène nouveau dans l’histoire. Ils comprirent comment la bourgeoisie avait réussi à l’écraser dans le sang de plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers et de révolutionnaires de Paris, ou accourus à Paris pour soutenir la Commune. Le résultat de cette étude aidera, au bout de quelques décennies, à l’instauration des premiers pays socialistes qu’aucune force de la bourgeoisie ne réussit plus à étouffer (3). Et ceci bien que le socialisme ait été instauré dans des pays économiquement et culturellement arriérés, dans lesquels la société bourgeoise et ses forces productives étaient encore peu développées ; bien que les premiers pays socialistes aient dû prendre en compte la forte présence d’éléments d’économie patriarcale et de petite production marchande ainsi que de rapports de dépendance personnelle de type encore féodal (4) ; bien que la bourgeoisie restée au pouvoir dans les pays les plus avancés et les plus riches du monde mît en oeuvre contre les premiers pays socialistes tous les moyens dont elle disposait et en inventa de nouveaux : de l’agression militaire à la collaboration avec les forces réactionnaires internes, au blocus économique, à la mise au point de nouvelles armes, de techniques et de stratégies de guerre, au sabotage et à l’isolement. « Étouffer l’enfant dans le berceau » : ainsi W.Churchill (1874-1965) résuma t-il en 1918 la politique que la bourgeoisie impérialiste du monde entier suivit contre les premiers pays socialistes.

 

Les premiers pays socialistes n’ont pas été vaincus par l’agression de la bourgeoisie impérialiste, à laquelle ils  résistèrent au contraire victorieusement chaque fois qu’ils furent attaqués. Ils se sont effondrés seulement suite à une période relativement longue de décadence due à des facteurs internes. Lorsqu’ils tombèrent alors, et les impérialistes USA, et le Vatican, qui depuis toujours conspiraient et luttaient pour les abattre, revendiquèrent chacun pour soi le mérite de les avoir détruits : les uns avec leur « guerre contre l’empire du mal », l’autre remerciant la Madone de Fatima. Mais en réalité les premiers pays socialistes tombèrent seulement à cause de l’inversion opérée en leur sein du sens de la marche suivie dans leur construction et dans leur développement : un renversement qui eut des causes précises (l’arrivée au premier plan du courant des révisionnistes modernes dans la direction des partis communistes) et des dates précises : dans la deuxième moitié du siècle dernier, à partir de 1956 avec le 20ème congrès du PCUS. Mais il faudra des dizaines d’années d’usure et de corruption du tissu social, avant que les pays socialistes s’écroulent, tant ils étaient forts au plus profond d’eux-mêmes. Il a fallu plus de 30 ans d’usure interne avant que l’Union soviétique s’écroule en 1991. Et bien que les premiers pays socialistes se soient effondrés, il est impossible de comprendre le monde d’aujourd’hui sans tenir compte du rôle qu’ils ont joué. Ils ont laissé dans le monde actuel une trace indélébile de leur existence. Ils ont changé la « constitution matérielle » du monde de façon irréversible. Leur existence a influé sur les rapports de force entre les classes dans chaque pays. Dans tous les coins du monde, les ouvriers et les autres travailleurs ont arraché à la bourgeoisie et aux autres classes réactionnaires des conquêtes qu’avant la naissance des pays socialistes ils n’auraient même pas imaginées. Les classes opprimées, et en particulier la classe ouvrière, ont rejoint dans chaque partie du monde un niveau culturel et organisationnel supérieur.

 

Quant aux pays où fût instauré le socialisme pour la première fois, ils sont encore aujourd’hui loin d’avoir rejoint la condition de pays bourgeois normaux et beaucoup d’éléments induisent à penser qu’il est difficile qu’ils l’atteignent jamais. Même les régions de l’ex-République Démocratique Allemande ne la rejoindront probablement pas, bien qu’elles aient été simplement englobées dans la République Fédérale Allemande, un des pays impérialistes les plus importants. De toute façon les ex-pays socialistes constituent encore aujourd’hui, à plus de 12 ans de l’effondrement et à 45 ans de l’inversion de leur route, une catégorie de pays à part, avec des problèmes, conflits, relations internes et internationales, formes de développement et perspectives spécifiques. La restauration du capitalisme n’a effacé l’œuvre de la première vague de la révolution prolétarienne qu’à la manière dont la Restauration de 1815 avait effacé l’œuvre de la Révolution Française.


Le centralisme démocratique

 

Le centralisme démocratique est le principe dirigeant de la structure organisatrice du parti communiste. Il se caractérise par :

1. l’élection de tous les organes dirigeants de la base au sommet ;

2. l’obligation faite à tout organe du parti de rendre compte périodiquement de son activité aux organisations qui l’ont élu et aux organes supérieurs ;

3. la discipline stricte du parti et la subordination de la minorité à la majorité ;

4. les décisions des organes supérieurs sont inconditionnellement obligatoires pour les organes inférieurs.


 

6.

Qu’est ce qui a rendu les premiers pays socialistes aussi forts ? C’est l’unité dialectique de la ligne de transformation de la société mise en oeuvre par les partis communistes (que nous avons définie synthétiquement à la fin du point 2) et du système de direction que les partis communistes instaurèrent pour la réaliser. Voyons maintenant en quoi consistait ce système de direction.

Le système de direction de chacun des premiers pays socialistes a eu des traits spécifiques et particuliers, liés à l’histoire, la tradition, aux caractéristiques, au degré de développement du pays et à la façon dont s’était déroulée dans chaque pays la lutte pour instaurer le socialisme. Dans chaque pays socialiste, le système de direction a subi des transformations multiples au cours des années. Il y eut toutefois d’importants traits communs à tous les premiers pays socialistes, traits qui sont restés inchangés tout au long de leur vie et qui sont spécifiques de la formation économico-politique. Même dans leur grande variété, dans tous les premiers pays socialistes le système de direction fut axé sur le parti communiste et sur les organisations de masse impulsées par le parti, sur le principe d’organisation du centralisme démocratique et sur la ligne de masse comme principale méthode de direction (même si cette dénomination fût utilisée seulement plus tard, lorsque sa théorie fut élaborée par Mao Tse-Tung). La structure de pouvoir formée du parti et de ses organisations de masse était ensuite dans chaque pays combinée de façon originale et évolutive avec un État entendu dans le sens traditionnel du terme : organisme détaché du reste de la société et, au moins en dernière instance, encore dépositaire du monopole de la violence (3). Pour rendre plus simple et plus concret l’exposé, par la suite nous nous référerons principalement à l’Union soviétique qui fut le premier pays socialiste et même celui où la transition a été la plus profonde et la plus longue (de 1917 à 1956).

 

Le refus de prendre acte de ce système particulier de direction et de l’étudier comme une forme historique nouvelle et spécifique de société politique est à la base des incompréhensions qui souvent se rencontrent même dans les discussions de bonne foi sur le caractère « démocratique » des premiers pays socialistes.

 

Les protagonistes de beaucoup de ces discussions mènent en réalité une discussion académique sur le thème : des pays bourgeois ou des premiers pays socialistes qui est le plus « démocratique » ? (C’est l’indétermination de ce terme qui rend la discussion académique) : en somme ils discutent si les premiers pays socialistes furent ou non plus démocratiques dans le sens de la démocratie bourgeoise, c’est-à-dire plus voisins du modèle idéal de la démocratie bourgeoise, de ce que sont les pays bourgeois. Le libre développement personnel et la participation de la masse de la population, et en particulier des ouvriers, à la gestion des affaires publiques dans un pays socialiste ne se manifeste pas et ne peut pas se manifester dans les formes dans lesquelles dans la société bourgeoise se réalisent le développement personnel et la participation des membres des classes exploiteuses à la politique. La démocratie prolétarienne ou dictature du prolétariat n’est pas l’extension aux ouvriers, l’ouverture également aux ouvriers, du système et des institutions politiques de la société bourgeoise. Cette ouverture est un rêve des groupes réformistes. Le système et les institutions de la démocratie bourgeoise reflètent les relations entre les membres de la bourgeoisie et sont adaptés aux conditions pratiques de vie de la bourgeoisie. Ils sont la transposition dans le champ politique des formes et des méthodes des relations d’affaires que les bourgeois ont entre eux. Ils ne peuvent donc pas être étendus aux prolétaires. Ce n’est pas un hasard si une grande partie des promoteurs des premiers mouvements politiques prolétariens, au début du XIXème siècle, étaient eux aussi des bourgeois, des petit-bourgeois ou des professions libérales (enseignants, avocats, etc....). Ce n’est que lorsque le mouvement politique des prolétaires atteignit un niveau permettant d’entretenir, former et sélectionner ses propres cadres permanents que commencèrent les partis communistes dans le sens actuel du mot. L’exclusion des prolétaires des institutions et du système politiques de la démocratie bourgeoise n’est pas forcée, voulue, imposée artificiellement. Au contraire elle résulte de la nature des rôles différents des classes dans la « société civile », dans l’ensemble des relations qui se forment, avant et indépendamment de l’activité politique, dans la vie économique et culturelle de tous les jours et c’est inséparable de la structure de classe de la société bourgeoise. Dans cette structure les prolétaires, et avec eux la masse de la population, ne peuvent pas participer à la gestion des affaires publiques et encore moins avoir un libre épanouissement personnel comme les bourgeois. Ce ne sont pas des écarts accidentels de la démocratie bourgeoise qu’on relève dans la réalité de chaque pays, ce ne sont pas non plus des limites dans l’application de ses principes et de son organisation qui en excluent les prolétaires. Mais c’est vraiment sa

 


« L’État socialiste ne peut naître que sous la forme d’un réseau de communes de production et de consommation, qui dénombreront strictement leur production et leur consommation, ne gaspilleront pas le travail, en augmenteront sans cesse la productivité et parviendront ainsi à réduire la journée de travail à sept heures, six heures et moins encore » (Les tâches immédiates des soviets, 1918 O.C. Lénine vol 27 p 264).

 


 

propre nature, si l’on fait abstraction des cas particuliers ou accidentels qui existent dans n’importe quelle situation concrète. La participation des prolétaires aux organisations et aux institutions de la société bourgeoise est incompatible avec la position qu’ils occupent comme classe dans la société. Lorsque vers le début du XXème siècle leur participation à la vie politique de la société bourgeoise fut imposée par la loi (avec la formation des partis socialistes auprès des autres partis avec lesquels les différents groupes de la société bourgeoise cherchent à faire prévaloir leurs intérêts et avec l’extension du droit de vote à toute ou à une grande partie de la population masculine), les bourgeois parlèrent de la naissance avec les « partis de masse » de la « société de masse » et proclamèrent : « Cette légalité nous tue ». En effet, leur participation marqua la fin de la démocratie bourgeoise.

 

La participation imposée des prolétaires à la politique a subverti les institutions de la vieille démocratie bourgeoise qui s’étaient affirmées dans la lutte contre la noblesse, le clergé, la monarchie absolue et leur monopole de l’activité politique. Elle a donné lieu ou à leur suppression ou à leur transformation en "petit théâtre de la politique" (pour le dire à la façon de Berlusconi) : à l’achat et vente de votes, à la transformation des débats politiques publics en joutes oratoires théâtrales, campagnes publicitaires et escroqueries manigancées par les principaux centres financiers, à la manipulation systématique et délibérée des informations et de l’opinion publique avec le développement d’instruments spécifiques, de procédures, de techniques et de sciences. Les prolétaires avaient imposé leur présence dans la politique comme électeurs : alors les capitalistes ont fait jouer leur force sociale, mesurée pour chaque bourgeois au capital dont il dispose, dans la conquête du consensus et des votes des masses populaires pour leur étiquette politique. Déjà auparavant le capitaliste mobilisait, pour s’enrichir, un nombre de prolétaires en proportion du capital dont il disposait : maintenant avec le même capital il mobilisa les masses populaires en faveur des orientations politiques favorables à ses intérêts et contre ses adversaires. Plus l’État était démocratique dans le sens bourgeois, c’est-à-dire déterminé par le vote des électeurs et sans monopoles héréditaires et de caste, plus grande était la liberté pour le capitaliste d’en disposer en mobilisant avec son capital le consensus populaire en sa faveur. Le maximum dans la vénalité de l’État et de la politique fut atteint en effet dans le pays le plus démocratique au sens bourgeois du terme : les USA. Le vote et le consensus populaires devinrent des marchandises accaparées par qui a le plus d’argent à jeter sur le marché électoral, pour soudoyer des démagogues et pour conditionner et manipuler l’opinion publique selon ses intérêts particuliers et ses choix politiques. La bourgeoisie dut développer, et développa sur une grande échelle, des moyens et des manœuvres aptes à conduire « les masses ignorantes et instinctives », visant seulement « à satisfaire des passions et des appétits bestiaux », « à une réelle collaboration avec l’honneur et avec les intérêts de État » (pour le dire à la façon de W. Churchill). Et face à la force politique que leurs effectifs conféraient aux partis prolétariens, d’une façon ou de l’autre la « sécurité nationale » devait devenir et devint dans tous les pays impérialistes le principal critère de gouvernement ; elle a remplacé l’intangibilité des droits politiques et civils de chaque individu, qui avait été le drapeau avec lequel la bourgeoisie avait combattu contre les régimes féodaux, la noblesse et le clergé. L’état bourgeois se fixa le devoir de prévenir les délits politiques plutôt que de simplement punir qui s’en rendait responsable. La prévention des délits, et donc le contrôle des individus et de leurs associations, sont devenues les principales formes de politique interne et internationale: dans la politique interne la contre-révolution préventive et dans la politique internationale la guerre préventive sont devenues les lignes politiques de la bourgeoisie qui jusqu’alors avait été démocratique et pacifiste.

 

Les premiers pays socialistes n’adoptèrent donc pas, et ils ne pouvaient pas adopter, le même système de direction que les pays bourgeois. Le système de direction des premiers pays socialistes se basa sur des formes originales, adaptées à la nature de la nouvelle classe dominante (la classe ouvrière) et à sa tâche historique: avec le préalable de la propriété publique au moins des principales forces productives, réaliser la participation ample et croissante à la politique des ouvriers, des autres simples travailleurs, des femmes, des jeunes et en général des catégories qui dans la société bourgeoise sont opprimées, exploitées, discriminées, marginalisées et exclues et faire de leur participation croissante le moyen principal de la transformation des conditions matérielles et intellectuelles de leur vie par les masses elles-mêmes. Il ne s’agissait pas d’obtenir d’une façon ou d’une autre qu’une classe dominante concédât ceci ou cela aux masses, qu’elle éliminât leur misère la plus extrême ou leur donnât au moins à manger (comme le prêchaient les programmes utopiques des réformistes). Ils s’agissait de créer les conditions par lesquelles les masses elles-mêmes résoudraient leurs problèmes à leur manière. Leur participation croissante à la politique, comprise avant tout comme la direction et l’administration de la production et de la distribution de ce qui leur servait à vivre, arrivée à un certain niveau, aurait fait disparaître la politique et l’État. La quantité en serait changée en qualité.

 

Le trait original et innovateur du système de direction des premiers pays socialistes fut donc une structure de pouvoir composée du parti communiste, de ses organisations de masse (syndicats, organisations des jeunes, des femmes, de catégories et de groupes sociaux), des collectifs de travail avec leurs assemblées et leurs organes exécutifs, des assemblées d’immeuble, de village, de quartier, de ville, etc. avec leurs conseils de délégués révocables (soviet) et leurs organes exécutifs respectifs. Dans chaque pays socialiste et dès son instauration, ce système avait un caractère de classe net et déclaré (à la tête il y avait la classe ouvrière, alliée et dirigeante des autres classes de travailleurs, alors que les classes antisocialistes en était exclues), il s’exerçait dans tous les domaines (prenait des décisions, les exécutait et exerçait des tâches judiciaires, de police et militaires), impulsait la poursuite de la transformation socialiste au-delà des contraintes juridiques, fonctionnait selon le principe d’organisation du centralisme démocratique et employait comme principale méthode de direction la ligne de masse. 

 

Sur le parti communiste

 

L’expérience de la constitution des premiers pays socialistes, bien que leur existence fut brève, a jeté une nouvelle lumière sur la nature et sur le rôle du parti communiste. Même s’il se constitue dans la société bourgeoise auprès des autres partis et, en des circonstances déterminées et pour une certaine phase, s’il effectue par certains côtés des tâches analogues à celles des autres partis et participe à la lutte politique typique de la société bourgeoise, le parti communiste n’est pas un parti comme les autres partis qui luttent pour s’approprier le pouvoir dans la société bourgeoise. Le parti communiste est l’avant-garde organisée de la classe ouvrière. Il est l’organisation des ouvriers les plus avancés, plus prestigieux, plus généreux, plus énergiques, plus capables d’assimiler la conception matérialiste dialectique du monde et de l’employer comme moyen pour diriger sa propre classe, pour qu’à son tour elle entraîne toutes les masses populaires tant à prendre le pouvoir à la bourgeoisie impérialiste qu’à prendre à son compte et dans ses mains la gestion de tous les aspects de leur vie. A la différence des autres partis, il ne cherche pas le pouvoir pour lui-même, ne demande pas une délégation de pouvoir. Il mobilise, il organise et éduque la classe ouvrière pour qu’elle gouverne et la guide pour qu’elle mobilise le reste des masses populaires pour qu’elles se libèrent de toute tutelle et des anciennes inhibitions et conceptions. Que le parti communiste doive avoir cette nature particulière était apparu évident déjà dans la période de la lutte pour la conquête du pouvoir. L’expérience des premiers pays socialistes a non seulement confirmé que ceci doit être la nature du parti communiste, mais a apporté une meilleure compréhension de sa nature et de son rôle.

 

A tout ce qu’on vient de dire, certains objecteront que chaque parti qui s’est déclaré communiste n’a pas eu les caractéristiques que nous avons indiquées. Cela est entièrement vrai. Pour avoir ces caractéristiques, il ne suffit pas non plus qu’un parti soit composé d’individus qui veulent sincèrement être communistes et croient honnêtement dans le communisme. Mais il est tout aussi vrai que les premiers pays socialistes furent instaurés grâce à des partis communistes de ce genre et que pendant leur période de développement ils furent dirigés vraiment par ce genre de parti. Les partis qui pendant la première vague de la révolution prolétarienne n’acquirent pas ces caractéristiques, ne réussirent pas à diriger victorieusement l’activité révolutionnaire des masses populaires et donc n’arrivèrent pas à instaurer le socialisme et à diriger quelque pays socialiste que ce soit. Il y a plus : lorsque les partis qui dirigeaient les premiers pays socialistes cessèrent, pour les raisons que nous verrons, d’avoir les caractéristiques que nous avons indiquées, en un court laps de temps ils conduisirent les pays socialistes à la ruine. C’est ce qui s’est passé dans les premiers pays socialistes après que les révisionnistes modernes aient pris la direction des partis communistes.

 

Chacun des partis qui construisirent et dirigèrent les premiers pays socialistes incarnait et réalisait la volonté et l’aspiration répandues dans la classe ouvrière de passer du capitalisme au communisme, de s’émanciper de la dépendance par rapport aux capitalistes, de transformer les rapports sociaux capitalistes en rapports communistes. Il les incarnait dans un organisme capable (avec sa structure, avec ses organisations de base, avec ses organes dirigeants, avec ses réunions, avec ses débats, avec ses congrès, avec sa vie interne, avec sa discipline) d’élaboration, de décision et d’action. Il réunissait un pourcentage d’ouvriers encore petit : les ouvriers communistes réunis dans le parti apprenaient à être la classe dirigeante, suivaient un processus continu de formation intellectuelle, morale et politique à travers la participation à la vie du parti, ce qui les rendait capables de guider toute la masse des travailleurs pour sortir des conditions de misère et de dépendance morale et intellectuelle dans lesquelles ils vivaient depuis des millénaires vis à vis des classes dominantes. Le parti donnait à chacun de ses membres les moyens nécessaires (en termes de conception du monde, de ligne politique, de mots d’ordre, de méthode de travail, de relations sociales et de prestige) pour être le levain de la masse de ses compagnons de travail et être l’animateur de leur activité sociale ; ils devenaient ainsi capables de les orienter et de les mobiliser pour réaliser les objectifs proposés et dans le même temps capables de comprendre leur état d’esprit et leurs aspirations et expériences, de porter celles-ci dans les instances du parti de sorte qu’elles deviennent matériaux et composants pour l’élaboration du parti et retournent aux masses comme objectifs à réaliser.

 

Le parti était composé de cette petite partie d’ouvriers qui non seulement n’étaient pas écrasés et résignés à la condition servile de leur classe, mais qui déjà ne concevaient pas pour eux une autre forme d’émancipation de la misère et de l’abrutissement culturel propre à leur classe qui ne serait pas l’émancipation de toute la classe. Par un effort particulier et un engagement individuel, en s’associant dans le parti ils conquéraient une autonomie subjective par rapport à leur condition spécifique et individuelle et devenaient dirigeants de leurs compagnons de travail, encore partie de leur classe mais déjà dotés, grâce au parti, d’une compréhension générale des conditions nationales et internationales de la lutte de classe et capable d’employer les méthodes nécessaires pour organiser et mobiliser leurs compagnons de travail. La force de ces partis n’était pas principalement dans le talent de leurs chefs, mais dans leur « structure de base » constituée d’ouvriers qui, unis et cohérents avec leurs intérêts de classe, continuaient à travailler aux côtés des autres ouvriers et, réunis en cellules d’atelier, connaissaient un à un dans la pratique quotidienne les ouvriers qu’ils devaient diriger. Avec leur activité ils les reliaient au reste du parti principalement fait de révolutionnaires professionnels (des cadres permanents), qui à son tour les reliait au reste de la classe ouvrière au niveau national et international. La combinaison de cette structure de base avec la superstructure des révolutionnaires professionnels dans l’organisation de parti, la ligne politique de transformation de la société vers le communisme et la conception communiste du monde faisaient du parti communiste une invincible machine de guerre.

 

Les liens existants entre la classe ouvrière et le reste des masses populaires (les classes qui participaient à la révolution, qui faisaient partie du camp de la révolution) permettaient de réunir et mobiliser toute la masse de la population laborieuse. Les membres de ces partis communistes ne furent jamais très nombreux, même pas après la conquête du pouvoir. En Union Soviétique le parti communiste en mars 1917 (au moment de la chute du tzar) comptait 24.000 membres et stagiaires sur environ 3 millions d’ouvriers de fabrique et une population de plus de 100 millions, 472.000 en 1924, 3.555.000 en 1933, 1.920.000 en 1938, 6.390.000 en 1948 et 6.897.000 en 1953. Les membres et les stagiaires devinrent ensuite 11.758.000 en 1965 et environ 16 millions en 1976 sur une population globale de 260 millions. Si on tient compte de la composition de classe particulière de l’URSS jusqu’au lancement des plans quinquennaux (le premier plan comprend les années 1928-1932) qui comportait un faible pourcentage d’ouvriers et un haut pourcentage de paysans, on voit que le nombre des ouvriers communistes oscillait de 1 à 6 pour 100 ouvriers. À la fin des années 20, les salariés recensés en URSS étaient 11 millions sur une population globale de 150 millions et 32 millions à la fin des années 30. Il faut se rappeler ensuite que les cadres (révolutionnaires professionnels) variaient selon les périodes de 2 à 3% des membres du parti (5). Évidemment le nombre limité de communistes par rapport au total des travailleurs peut être compris comme un indice du peu de chemin encore accompli vers la société communiste : la quantité était encore loin de pouvoir se transformer en qualité. Des chiffres que nous avons fournis on pourrait conclure que les premiers pays socialistes dans la meilleure des hypothèses (6 ouvriers communistes sur 100) ont parcouru environ 10% de la route pour arriver à la société communiste (en admettant que la quantité se transforme en qualité lorsqu’au moins 60% des ouvriers sont membres du parti communiste). Évidemment il s’agit d’un raisonnement qui sert seulement à donner une idée du phénomène dont nous traitons.

 

Le rapport particulier entre le parti communiste et classe ouvrière se traduisait aussi en institutions spécifiques du parti communiste.

 

D’abord la construction des organisations de base du parti en fonction des collectifs de travail (les cellules d’usine ou d’atelier). Dans chaque lieu de travail il y avait une cellule de communistes (minimum trois), eux-mêmes travailleurs, en contact direct et quotidien avec les autres travailleurs. Ces travailleurs communistes, qui déjà spontanément avaient dans le collectif un rôle d’avant-garde, étaient rendus encore plus compétents et influents par leur lien avec le reste du parti et orientaient, éduquaient et mobilisaient l’ensemble du collectif.

 

Ensuite en ce qui concerne la vie interne, l’appartenance au parti comportait l’assimilation par chaque membre de la conception matérialiste dialectique du monde et de la méthode matérialiste dialectique de pensée et d’action, l’usage systématique de la critique et de l’autocritique dans chaque instance du parti, l’application du centralisme démocratique dans les rapports internes entre individus et instance du parti et entre les instances du parti comme principe pour élaborer les décisions et les appliquer. Il s’agissait de travailleurs qui par libre choix suivaient avec élan et passion le procès de « formation continue » du parti : réunions, circulaires, cours, assemblées. Avec cela le parti les amenait à assimiler une conception du monde facile à assimiler pour les ouvriers parce qu’elle est l’explication rationnelle de leur nature et de leur expérience, une analyse de la situation internationale et nationale sur tout sujet d’importance, une ligne, des méthodes de propagande, d’organisation et de mobilisation. D’autre part ils apprenaient à recueillir et formuler en termes d’objectifs et de ligne les aspirations et les tâches de leur collectif pour qu’elles soient reprises par le parti, qu’elles deviennent ses tâches et qu’il les pose comme tâches de l’ensemble de la société. Ils étaient ce que leurs compagnons de travail ne pouvaient pas encore être, mais qu’ils deviendraient tôt ou tard grâce à leur activité.

 

En troisième lieu, en ce qui concerne les rapports entre le parti et le reste des ouvriers, les nouvelles candidatures au parti étaient également passées au crible par les assemblées du collectif de travailleurs dont le candidat faisait partie ; les assemblées des collectifs de travail donnaient leur avis lors des épurations périodiques des membres du parti ; il y avait un contact quotidien des membres et des organismes du parti avec les collectifs de travail respectifs et l’application systématique de la ligne de masse.

 

En quatrième lieu l’admission au parti était régie par des caractéristiques de classe précises. Andrei Zdanov (1896-1948), le futur dirigeant de la résistance de Leningrad pendant le siège nazi, au 18ème congrès du PCUS (en 1939), rappela que le 11ème congrès (en 1922) avait déterminé quatre catégories de candidats (simples ouvriers, ouvriers avec un rôle de chef, paysans, intellectuels et dirigeants) auxquelles correspondaient des durées croissantes de candidature, la demande d’un plus grand nombre de garanties, davantage d’ancienneté dans le parti et une sélection plus sévère. Zdanov proposa d’abolir les quatre catégories, en conformité avec l’orientation prédominante dans ces années là selon laquelle les différences entre les trois classes considérées (ouvriers, paysans et intellectuels) allaient en s’atténuant. Les catégories disparurent en effet en 1939 des Statuts du parti mais, grâce au pouvoir discrétionnaire laissé aux organisations du parti, elles ne disparurent pas dans la pratique (6).

 

Donc d’une part le parti n’était pas une association privée qui abordait uniquement entre l’organisation et chacun de ses membres les problèmes de sa vie interne (recrutement, formation, promotion, rétrogradation, critique, évaluation, exclusion, etc.) et à laquelle chacun pouvait adhérer à la seule condition d’en partager le programme politique. De l’autre, dans chaque circonstance et en chaque domaine et lieu, le parti agissait comme une institution publique : il assumait le devoir de faire l’enquête, définir une ligne, mobiliser la population pour résoudre chaque problème en employant lui même les moyens et les ressources dont la société disposait. Le parti communiste était animé d’une indomptable volonté, qu’il transmettait à la société, de transformer le monde et de créer une nouvelle société conforme aux intérêts et à l’expérience des travailleurs, en les entraînant à un rôle actif dans la production et dans la gestion des autres affaires sociales : des affaires les plus directes et immédiates aux plus universelles, communes à toute la société. Celles-ci ne pouvaient être spontanément et instinctivement perçues comme propres et indispensables par chaque collectif de base. C’était seulement grâce à l’action des communistes que chaque collectif les traitait consciemment comme siennes et donnait consciemment sa contribution à leur solution selon la division sociale du travail. Dans chaque collectif de travail ou local, celui qui se heurtait à un problème (de la femme battue par son mari jusqu’à une innovation à introduire dans le travail) savait qu’en se tournant vers le parti il mettait en marche un mécanisme qui saurait avec ténacité faire de son problème un problème du collectif. Et dans cette activité de chaque collectif se produisait la transformation des conditions matérielles, du caractère et des conceptions de chaque individu: la formation de l’homme nouveau.

 

 

Les organisations de masse

 

Les organisations de masse reliaient entre elles et avec le parti tous les éléments même très peu actifs (ou qu’on réussissait à rendre au moins dans une certaine mesure et temporairement actifs) de chaque catégorie de travailleurs (avec les syndicats professionnels, les assemblées des collectifs de travail et leurs structures), les éléments des secteurs qui avaient le plus hérité de la vieille société une condition et une mentalité d’opprimés et d’exclus (femmes, jeunes, nationalités et catégories opprimés) et les éléments que la vie courante liait entre elles (habitants d’immeuble, de quartier, de village, de ville, de région). Ces structures unissaient sur chaque problème les personnes concernées le plus directement, de sorte qu’ensemble ils trouvaient le moyen de le résoudre et le mettaient en oeuvre avec l’aide que le reste de la société fournissait dans la mesure nécessaire et sur la base des disponibilités existantes. À travers les organisations de masse, le parti encourageait l’autonomie locale et de chaque groupe social auquel il était demandé de résoudre, avec un grand pouvoir discrétionnaire mais dans la fidélité à la cause socialiste, les problèmes d’intérêt exclusivement local, développait la capacité des masses d’analyser par elles-mêmes leurs problèmes, de trouver des solutions appropriées et de les mettre en oeuvre, sans avoir besoin de l’intervention de fonctionnaires envoyés d’en haut. Là où il fallait l’intervention d’éléments ou d’unités ayant une préparation professionnelle supérieure à celle disponible sur place, c’étaient les masses elles-mêmes, associées, qui les appelaient et les dirigeaient.

 

Les organisations de masse n’étaient pas des associations privées, mais des institutions publiques. Outre la vie associative de ses membres (recrutement, formation, répartition du travail, constitution des structures, promotion, rétrogradation, expulsion, etc.), chacune d’elle gérait même des aspects importants et croissants en nombre et qualité de la vie sociale, effectuait des fonctions administratives (relatives par exemple au logement, aux lieux pour les congés et le repos, centres pour l’instruction et la santé, entreprises locales, distribution de biens et de services) et de gouvernement (police, administration de la justice, ordre public, milice, formation militaire, vigilance, etc.) auxquelles, à travers l’ensemble des organisations de masse, était associée une très large partie de la population. Dans un pays socialiste, seuls les individus que les organismes locaux du parti, des organisations de masse ou de l’État avaient publiquement privés des droits politiques et civils restaient extérieurs à l’activité administrative et de gouvernement et soumis à un contrôle : surtout les membres des anciennes classes exploiteuses (bourgeoisie, noblesse, clergé) et les ennemis déclarés du système socialiste (délinquants habituels jugés irrécupérables et autres éléments asociaux). La première constitution soviétique russe (1918) en donnait cette liste: les personnes qui utilisent le travail salarié pour en tirer un profit ; les personnes qui vivent de revenus ne provenant pas de leur travail (d’intérêts du capital, de revenus d’entreprise, d’apports patrimoniaux, etc.) ; les commerçants privés, les parasites et les intermédiaires commerciaux ; les moines, le clergé et tous ceux qui sont au service de l’église et des cultes religieux ; les employés et agents de l’ancienne police, du corps spécial de la gendarmerie et des services de la sécurité, ainsi que les membres de la famille régnante de Russie ; les personnes reconnues handicapés ou malades mentaux selon les modalités établies, ainsi que les personnes sous tutelle ; les personnes qui ont été condamnées pour des délits de profit personnel ou pour des délits infamants, pendant la période fixée par la loi ou par la sentence du tribunal. Ces personnes étaient même exclues du service proprement militaire et dans la défense du pays elles n’effectuaient que des tâches d’auxiliaires et sous contrôle. En somme elles étaient traitées dans tous les domaines comme des personnes déloyales, ennemis de classe. Ces discriminations disparurent officiellement dans la Constitution de 1936 qui déclarait que les désaccords entre les trois classes reconnues (ouvriers, paysans, intellectuels) étaient atténués et en voie de disparition, mais, bien que non obligatoires, elles continuèrent à être pratiquées dans une large mesure. En Union soviétique dans les années 30 les "discriminés" comme ennemis de classe constituaient une masse comprise entre 5 et 10 millions d’adultes sur une population totale de 150 à 200 millions, donc un pourcentage inférieur à celui des pauvres et des marginaux dans les pays impérialistes les plus riches. Pour chaque individu il était clairement indiqué la classe sociale dont il faisait partie et sur la base de celle-ci étaient indiqués ses droits politiques (par exemple, la longueur de la période de candidature au parti et les modalités de son admission). En même temps, depuis 1917, étaient reconnus les pleins droits politiques à chaque travailleur étranger habitant en Russie, aux femmes (en 1917 les femmes dans les pays bourgeois n’avaient même pas encore le droit de vote) et aux jeunes à partir de 18 ans ou même moins si les assemblées locales en décidaient (même dans les pays bourgeois les plus avancés les jeunes, mêmes masculins, de moins 25 ans ou de 21 ans n’avaient alors même pas le droit de vote).

 

Ce fut cette structure, constituée du parti communiste et des organisations de masse qui, dans les premiers pays socialistes anima et dirigea l’ensemble de la société et poussa chaque individu à donner le meilleur de lui même profitant des conditions qui la société lui offrait. L’idée que dans les sociétés socialistes l’initiative individuelle et le rôle des individus étaient étouffés est une fable qui fausse complètement la réalité et rend inexplicables les succès des pays socialistes. Au contraire, des millions d’individus trouvèrent finalement la stimulation, les conditions et le soutien social pour exprimer le maximum de leurs potentialités. L’initiative individuelle ne s’expliquait pas par une recherche d’enrichissement et de soumission d’autres individus pour les exploiter. N’était réprimée et punie que la seule initiative individuelle du genre de celle que le bourgeois prend en considération et que lui et ses apôtres prétendent motrice de tout progrès et trait constitutif d’une "nature" humaine créée par leur Dieu. Dans les premiers pays socialistes l’initiative individuelle s’exerçait par une contribution à la résolution des problèmes sociaux et individuels de la vie courante. L’esprit d’initiative, la volonté de s’affirmer, l’énergie des individus était canalisée dans la réalisation des tâches que la société se fixait : le développement de la production, l’amélioration des conditions de vie, l’émancipation des femmes, l’alphabétisation, la progression culturelle, etc. Cette initiative n’était pas une nouveauté : déjà la société bourgeoise elle-même ne serait pas sur pied sans le travail zélé et créateur de millions d’hommes et de femmes qui se consacrent à leur activité avec passion au milieu de contraintes de toutes sortes et contre les autorités bourgeoises qui étouffent leur initiative et refusent ou lésinent sur les moyens nécessaires pour la développer. L’idée que la recherche de richesse personnelle serait l’unique ou le principal stimulant de l’activité humaine est seulement la projection sur toute la société de la nature particulière des capitalistes, lesquels sont effectivement motivés seulement ou principalement par l’avidité d’accroître sans limite leur argent. Mais ces personnes sordides ne sont vraiment que les derniers héritiers de la mentalité qui était celle des troglodytes ne réussissant pas encore à se nourrir à suffisance. Elles incarnent le système social des pays capitalistes, commandent et infectent toute la société avec leurs conceptions survivantes d’une époque encore barbare de l’histoire humaine.

 

Contrairement à ce qui se produit dans la société bourgeoise, dans les pays socialistes les forces et les ressources de la société encourageaient dans la mesure du possible les efforts et les aspirations des millions d’hommes et de femmes qui accomplissaient avec passion leurs tâches et cherchaient à améliorer leurs conditions et celles des autres: aux mères étaient reconnus les moyens pour être de bonnes mères, aux chercheurs les moyens pour développer dans les meilleures conditions les recherches, aucun ouvrier n’était licencié parce que "de trop" après avoir donné pendant des années avec passion sa contribution à une entreprise, aucun ancien travailleur n’était traité comme une vieille chaussure maintenant inutile et un poids pour la société, chaque adolescent était placé face à des tâches qui attendaient son action, chaque femme était aidée par tous les organes de la société à s’émanciper de la tutelle masculine, etc. Aux hommes et aux femmes qui voulaient apprendre, la société socialiste offrait écoles et instructeurs, pendant que même la société bourgeoise la plus riche demande encore aujourd’hui de payer des droits et des taxes pour la scolarité. Le progrès de la société socialiste se mesurait à l’amélioration des conditions matérielles et spirituelles de la vie de l’ensemble de la société et de chacun de ses membres. Cette amélioration, directement perceptible par chacun, était publiquement posée comme finalité de l’activité sociale et individuelle et comme moyen avec lequel mesurer les résultats atteints : elle avait le rôle qu’ont chez nous l’augmentation du PIB, l’évolution de l’indice de la Bourse des valeurs et le bénéfice d’entreprise. Le rôle et le prestige social de chaque personne dépendait de l’apport qu’elle avait donné et donnait à l’amélioration du bien-être commun. La société exprimait avec des récompenses matérielles et des reconnaissances morales l’appréciation commune des contributions individuelles et de groupe à la vie sociale. L’émulation socialiste était répandue dans chaque domaine. Les plus avancés étaient encouragés à enseigner à qui était plus en arrière et ceux-ci à apprendre de qui était plus avancé. Lorsque le besoin des produits d’une entreprise se réduisait, les travailleurs étaient investis du problème et réalisaient la conversion de l’entreprise à une autre production utile. Chaque entreprise qui mettait au point une technique, une procédure ou une amélioration qui augmentait la productivité du travail, épargnait des matières premières, diminuait la fatigue ou réduisait la pollution, le diffusait auprès des autres entreprises du secteur. La propriété privée n’existait pas pour les découvertes et les inventions, il n’y avait pas de propriété intellectuelle, même si les simples individus ou les inventeurs collectifs étaient récompensés matériellement et moralement. Encore moins existaient le secret bancaire, le secret commercial, les brevets sur les découvertes, les droits d’exploitation des idées et les royalties avec lesquelles les peuples et les secteurs plus arriérés sont encore aujourd’hui écrasés et sur lesquels prospèrent la pègre organisée et la spéculation. Ceci permit en Union soviétique à la fin des années 20 de réduire la journée ouvrable à 7 heures (mais pour quelques travaux particulièrement difficiles jusqu’à seulement 4 heures), de rétablir à la fin des années 40 cette réduction abolie pendant la seconde guerre mondiale et de développer dans une mesure inexistante ailleurs l’instruction, la santé, les arts, le sport et la participation des travailleurs et en particulier des femmes à la vie sociale et à la gestion d’État.

 

C’est surtout grâce à cette nouvelle et originale structure de pouvoir que dans chacun des pays socialistes furent créées les conditions intellectuelles, morales et psychologiques grâce auxquelles un système productif basé principalement sur la participation, sur la passion et sur l’intelligence de la masse des travailleurs, fonctionnait de façon efficace et avec d’excellents résultats. Les unités productives (et les collectifs de travail) qui le composaient n’agissaient pas en échangeant (en vendant et en achetant) avec autres unités. La règle générale était que chaque unité recevait des autorités préposées à l’élaboration du plan national de production, la charge de produire dans une période déterminée une certaine quantité de biens ou de services, avec les matières premières, les produits semi-ouvrés et les outillages éventuellement nécessaires et à son tour elle faisait à cette autorité ses propositions de production et de fournitures pour les périodes suivantes. Ce système était basé sur la prémisse que dans chaque unité les travailleurs accomplirait la tâche reçue avec sens des responsabilités et créativité, et chercheraient à faire le meilleur usage des ressources dont ils disposaient et à travailler dans les meilleures conditions. Il est évident qu’une semblable organisation de la production pouvait donner de bons résultats (et les donna réellement) seulement si les travailleurs étaient motivés et participaient chacun avec passion et intelligence à la réalisation des objectifs de leur propre collectif de travail, à l’élaboration des propositions de ce que l’unité productive pouvait faire et à l’amélioration de ses potentialités. Les collectifs de travail et les individus plus avancés enseignaient à ceux plus arriérés et ils les incitaient à s’améliorer. Le système pouvait fonctionner (et il fonctionna remarquablement bien) tant que l’individu plus avancé eut la possibilité de diriger l’individu le plus arriéré et d’isoler les tricheurs, les parasites, les partisans du "chacun pour soi" baignant encore dans la mentalité primitive du bourgeois et de l’artisan, les partisans de la direction coercitive sur les arriérés sans éducation, de la punition économique des éléments arriérés comme unique ou principal moyen pour les inciter à s’améliorer, de l’attribution du pouvoir à qui savait mieux se débrouiller individuellement, de la perpétuation ou carrément du renforcement du rôle social et de la rémunération individuelle des travailleurs plus instruits, plus habiles, plus capables, de la perpétuation ou même du renforcement du caractère de classe des vieilles divisions entre travailleurs dirigeants et travailleurs dirigés, entre travailleurs intellectuels et travailleurs manuels, entre hommes et femmes, entre anciens et jeunes, entre nationalités, régions et secteurs avancés et nationalités, régions et secteurs arriérés. Le système fonctionna remarquablement tant que l’individu avancé eut la possibilité d’imprimer à toute la société un mouvement vers l’avant, tendu vers l’amélioration matérielle et intellectuelle de l’ensemble de la société, vers l’élévation de la conscience et de l’instruction, vers l’élargissement de la participation, vers la croissance de la confiance mise dans le collectif et de l’ esprit d’initiative et de maîtrise des travailleurs associés sur leur activité, sur les conditions de leur vie et sur eux-mêmes. Les incitations matérielles et morales attribuées aux individus et aux collectifs d’avant-garde pouvaient aider, mais pas se substituer à l’élan créé chez les individus et dans les collectifs par la conscience communiste, par la ligne juste pour avancer vers la société communiste, par l’action d’avant-garde du parti communiste.

 

Dans tous les pays socialistes existaient une série d’indices et de normes sur les relations entre quantité des produits et ressources consommées ou temps de travail employé : cependant ils servaient principalement de référence, vérification et comparaison. De même que chez nous on compile pour les écoles des indices comme le rapport élèves/enseignants, le pourcentage de promus, le rapport élèves/surface de l’école, etc. : indices qui servent pour comparer entre elles les diverses écoles et vérifier leur évolution dans le temps, mais pas, sauf dans les désirs malsains des bourgeois les plus malades de la gestion privée et "managériale" des écoles, pour décider de la rémunération des enseignants et des directeurs et pas davantage de la bonne marche des écoles qui pour chaque personne de bons sens est indiquée par le niveau de formation et d’éducation des élèves qui sortent de l’école. Les collectifs de travail des pays socialistes étaient liés l’un à l’autre non par des rapports commerciaux, pas plus que par l’obtention de prestations supérieures aux normes et aux indices, mais par un rapport moral et intellectuel porté et personnifié par le parti communiste et les organisations de masse. Chacun devait donner selon ses possibilités, bien que la distribution des produits aux individus était encore principalement régulée selon le critère "à chacun selon la quantité et qualité du travail qu’il accomplit". Mais ce critère était supplanté, dans une mesure qui croissait au fur et à mesure qu’on avançait vers le communisme, par le critère "à chacun selon ses besoins". Une part croissante de services et de biens de consommation étaient mise à disposition des individus gratuitement ou à des prix qui servaient non pas à « rémunérer le producteur », mais à maintenir la consommation dans le cadre des disponibilités (comme cela se passait chez nous pour les soins de santé dans le domaine du Service Sanitaire National). À Cuba pour améliorer la nutrition et la santé des enfants à une certaine époque fut introduite la distribution gratuite du lait aux familles. On s’aperçut cependant qu’un nombre élevé de familles gâchait le lait : alors il fut mis de nouveau en vente à un prix minimum pour promouvoir une utilisation consciente et raisonnable. Les prix attribués nominalement à chaque produit, même à ceux qui n’étaient pas vendus mais étaient délivrés à l’organisme qui les avait commandés, servaient à calculer et comparer la productivité du travail et l’efficacité d’emploi des ressources de la part des collectifs de travail de secteurs différents. Staline dans son écrit « Problèmes économiques du socialisme en URSS », rédigé entre 1951 et 1952 comme contribution à la discussion sur le Manuel d’économie politique de l’URSS que l’Académie des sciences de l’URSS préparait, fit remarquer qu’en Union soviétique les prix attribués à quelques produits étaient complètement incohérents : les planificateurs avaient attribué à une tonne de grain un prix égal à celui attribué à une tonne de pain. Cela entraînait des indices dépourvus de toute valeur indicative et donc l’affectation des prix devait être améliorée afin d’avoir des indices qui rempliraient leur fonction. Si l’on s’en tenait aux indices établis sur la base de ces prix, il semblait que les collectifs qui travaillaient dans les moulins, dans les transports, dans la panification et dans la vente au détail ne donnaient aucune contribution à la société et gâchaient des ressources. Cependant cette erreur des planificateurs n’avait pas empêché que ces collectifs travaillent et contribuent au bien-être commun. Mais il arriva que, peu d’années après, les révisionnistes décidèrent de faire dépendre la rémunération des collectifs de travail de « l’accomplissement des indices » et donc on poussa à chercher les « justes prix » des produits individuels et même, dans une deuxième phase « plus avancée », à instaurer des échanges commerciaux entre les unités productives, sur la base de ceux-ci. Ce qui avait été jusqu’aux années 50 une erreur des planificateurs, fut transformé en une contradiction pratique entre des collectifs de travail qui entrava leur activité et abattit leur moral, qui ouvrit la voie aux marchandages et subterfuges sans fin entre des collectifs de travail et entre ceux-ci et les préposés au plan : un chaos qui a perduré au cours des ans (les célèbres « réformes économiques » des années 60 et 70 : la plus célèbre porte le nom de Kossyguine), fit émerger comme chefs et dirigeants de la société soviétique une écume d’escrocs, d’intrigants, de profiteurs, de criminels et d’aventuriers (7). C’est dans ce contexte que commença à se former en Union soviétique ce réseau de criminalité organisée que maintenant les média appellent la Mafia Russe. Il absorba aussi beaucoup d’héritiers nostalgiques du passé et beaucoup de partisans de l’Occident capitaliste. Tout au long de l’époque de Brejnev (1964-1982), ce réseau de trafiquants et de profiteurs se joignit aux dirigeants partisans des « réformes » à la Kossyguine et à l’Andropov. Ainsi se forma cette race de brigands qui, guidée par Gorbatchev, à la fin des années 80 a brisé toute hésitation, a proclamé la privatisation de l’appareil productif de l’Union soviétique et s’en est attribué la propriété personnelle.

 

 

L’appareil d’État

 

La structure formée du parti et des organisations de masse ne fut pas cependant l’unique structure de pouvoir, l’unique autorité sociale dans les premiers pays socialistes. Combinées avec le parti et ses organisations de masse il y eut aussi dans chaque pays socialiste d’autres institutions publiques sous divers aspects apparemment semblables à celles qui existaient dans les pays capitalistes : un gouvernement, une administration publique, une magistrature avec des prisons et des tribunaux, des forces armées d’état, polices et polices secrètes. Ces institutions formaient une seconde structure de pouvoir parallèle à la première. Ses organes étaient largement et de diverses façons combinés et influencés par la structure précédemment indiquée qui les pénétrait avec ses instances et ses commissaires politiques et qui officiellement les contrôlait (en URSS cela s’appela l’Inspection Ouvrière). Cependant ils conservaient la nature de corps séparés du reste de la société, constitués de professionnels détachés des collectifs de travail normaux, liés par une discipline et par une hiérarchie propres et n’agissaient pas sur la base d’une mobilisation populaire qu’ils auraient suscitée mais par la force et les moyens dont ils disposaient directement et selon des directives et des ordres provenant d’en haut. C’était en somme des organes d’État dans le sens traditionnel du terme, comme nous les connaissons encore aujourd’hui dans chaque pays. Cette seconde structure constituait dans chaque pays socialiste un accessoire de la première structure : un accessoire indispensable, mais pourtant toujours un accessoire.

 

La combinaison des deux types de structures de pouvoir social fut la forme dans laquelle exista dans les premiers pays socialistes la dictature du prolétariat. Face à chaque problème, chacun avait le choix de se tourner vers l’autorité d’État (la police, etc.) ou vers la cellule du parti. Cette combinaison contenait dans un rapport d’unité et de lutte le nouveau et l’ancien : le nouveau qui devait s’étendre et l’ancien qui devait mourir. L’ancien était constitué d’un État qui était encore un État dans le sens traditionnel, mais ne l’était plus complètement parce qu’il était dans un certain sens le « bras séculaire » de la structure du premier type, il était supplanté par elle dans une mesure croissante et était tenu à travailler selon les directives fixées par le parti. Derrière l’appareil d’État, se trouvait la structure constituée des masses populaires associées et en premier lieu des ouvriers associés. On peut dire que ces associations accomplirent dans les premiers pays socialistes le rôle qui dans les pays bourgeois est exercé par le monde des affaires et les multiples relations qui lient l’un à l’autre les capitalistes et les riches en un réseau (la « société civile », la Old Boys Network pour le dire à l’anglo-saxonne) qui est derrière les institutions officielles, oriente leur activité et assure leur continuité. Entre les deux structures il y avait une pénétration réciproque: le parti était ramifié dans chaque organe d’État avec ses cellules, ses comités et ses commissaires politiques et impulsait le contrôle ouvrier et populaire sur l’activité des organes d’État. L’État était présent dans le parti 1. de fait à travers le corps des fonctionnaires du parti qui dans une certaine mesure étaient des professionnels et 2. officiellement avec ses organes parce que leurs fonctions (justice, police, forces armées, planification, etc.) concernaient même les membres et les organismes du parti et de ses organisations de masse.

 

Le rapport d’unité et de lutte entre ces deux structures de pouvoir parcourt toute l’expérience des pays socialistes, trouve des solutions pratiques et temporaires diverses de pays à pays et au cours des ans, il distingue l’Union soviétique des démocraties populaires et chaque démocratie populaire l’une de l’autre. Les soviets réunissaient dans le même organisme la nature des deux structures. Tout au long de la vie de tous les premiers pays socialistes, il saute aux yeux une certaine timidité de la gauche à indiquer clairement qu’on devait poursuivre la prédominance de la première structure sur la deuxième avec l’objectif de la substitution graduelle de celle-ci par la première. Pourtant cette prédominance fut une donnée de fait pendant la période d’ascension des premiers pays socialistes. Seule la Constitution de la RPC de 1975 (corrigée par la Constitution de 1978 après le coup d’État de Deng Xiaoping et encore plus par celle de 1982 toujours en vigueur) proclama ouvertement la prédominance de la première structure (8). La droite dans les premiers pays socialistes et dans les partis communistes correspondants se caractérise par contre constamment comme partisane de la prééminence et du renforcement des institutions d’État, présentées comme institutions « de tout le peuple », contre le parti qui est une institution de classe, dédiée à promouvoir la lutte de classe. Déjà dans les années 40 l’influent membre de l’exécutif de l’Internationale Communiste et président du puissant parti communiste des USA, Earl Russel Browder (1891-1973), soutint ouvertement l’atténuation dans le programme du PC USA et dans les pays socialistes du rôle du parti face aux institutions publiques d’État. Un des points de rupture de Tito (1892-1980) et de ses disciples avec le Komintern en 1948 fut le rôle du parti face aux structures d’État : pour marquer l’atténuation du rôle du parti en Yougoslavie, le parti communiste fut transformé en Ligue des communistes. La Révolution Culturelle Prolétarienne dans la République Populaire de Chine rejoignit son point le plus avancé de réforme institutionnelle avec la formation de la Commune de Shanghai (1967) et dans le débat sur la généralisation de l’institution de communes urbaines (qui se conclut avec la reconnaissance que les conditions internes et internationaux nécessaires n’existaient pas).

 

Le rapport d’unité et de lutte entre ces deux structures de pouvoir ressort clairement avec la question de la « légalité socialiste » qui se posa tout au long la vie des premiers pays socialistes. Après la Révolution d’Octobre, non seulement les anciens tribunaux furent abolis, ainsi que leurs procédures et toutes les lois et les codes en vigueur, mais le « sens de justice des classes travailleuses », la « conscience révolutionnaire », le « sentiment socialiste de la justice » et « les intérêts du gouvernement ouvrier et paysan » furent explicitement proclamés comme critères dont devaient s’inspirer tous les organes de pouvoir au-delà de la lettre de chaque loi (Décret du Conseil des Commissaires du peuple sur la Justice du 27 novembre 1917, celui sur les Tribunaux du 30 novembre 1917, etc.). Progressivement le nouvel État élabora et approuva au fur et mesure des lois, décrets, normes et règles. Toutefois le parti communiste et ses organisations de masse (OdM) restèrent en définitive au-dessus de la forme et de la lettre de chaque loi, norme et règle. Les organes d’État devaient observer la loi, mais sous la direction du parti et de ses OdM, c’est-à-dire dans la mesure selon laquelle le parti et ses OdM ne donnaient pas d’indications différentes. C’était un aspect essentiel de la « dictature » de la classe ouvrière et des classes alliées et il permettait de tenir compte de l’effective diversité concrète des personnes et des circonstances afin de profiter de celle-ci pour renforcer dans chaque champ de la vie sociale la transformation vers le communisme. Considérons un cas en détail comme exemple.

 

En règle générale un homme qui donne une gifle ou tire sur une femme ce n’est pas la même chose qu’une femme qui donne une gifle ou tire sur un homme. En règle générale le premier épisode est grave parce qu’il réaffirme et renforce le côté négatif de l’ancienne société (la subordination des femmes aux hommes). Le second épisode peut être même positif, voire très positif : le début de l’émancipation de cette femme de la subordination aux hommes, une incitation pour toutes les femmes à se libérer de la tutelle masculine, un aspect concret et particulier d’un procès social positif que la société doit encourager : l’émancipation des femmes à l’égard des hommes. Dans les pays socialistes aussi la loi impartiale et égale pour tous punissait la violence privée. Mais appliquer cette loi de la même manière, impartialement, à des individus différents (l’homme et la femme) conduit à des résultats socialement négatifs, renforce la subordination des femmes et la prédominance des hommes. Mais il y a plus. Avec la prédominance que les hommes héritent de l’ancienne société, chaque homme jouit véritablement de conditions sociales plus favorables par rapport à la femme pour faire valoir ses arguments, pour faire reconnaître par la société (par des juges dans notre exemple) qu’il a raison. Il a une plus grande habitude de traiter les affaires sociales et de parler en public, moins de pudeur à exposer des faits personnels et intimes, il jouit d’un préjugé social favorable à l’homme (« lorsque tu rentres chez toi, bats ta femme : si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait »), a plus de moyens pour trouver des défenseurs habiles et des témoins, de meilleures connaissances et relations personnelles, etc. Donc non seulement la discrimination positive en faveur de la femme est nécessaire, mais dans certains cas la rébellion privée et individuelle contre l’homme doit même être traitée comme un fait principalement positif et faire en sorte que l’épisode devienne une occasion pour la mobilisation en masse des femmes.

 

Ce qui est illustré par cet exemple vaut aussi bien pour beaucoup de relations de la vie sociale et beaucoup de cas. Un individu qui fait irruption dans l’habitation privée d’un autre, qui s’approprie des biens qui ne sont pas les siens, qui dupe un autre, qui fait du marché noir, etc. Le même fait accompli par des individus de conditions sociales différentes doit être traité de façon différente pour atteindre le même résultat: la marche vers le communisme. La lutte de classe et la politique doivent prévaloir sur la lettre de la loi.

 

L’instauration de l’égalité de chaque individu face à la loi (la loi égale pour tous) a eu un contenu progressiste pendant la révolution bourgeoise parce qu’elle a aboli les privilèges juridiques de classe et de caste (des nobles, du clergé, du mari sur la femme, des parents sur les enfants, des maîtres de corporation sur les apprentis, des hommes sur les femmes, des patrons sur ses salariés, etc.). Elle a mis surtout les bourgeois (les capitalistes et les professions libérales) sur le même plan que les nobles et le clergé face à l’administration de la justice, sur le plan des droits et des devoirs. Mais l’application égale dans tous les cas de la même loi dans la société bourgeoise a un contenu négatif pour les classes opprimées ; dans la société socialiste elle a un contenu conservateur et même réactionnaire parce qu’elle traite de la même manière des personnes qui « se présentent dans des conditions différentes devant la loi ». Donc elle perpétue et réaffirme les formes d’asservissement et de subordination sociales héritées de l’ancienne société. Face à la loi égale pour tous et équitablement appliquée à tous, le riche a de meilleures capacités que le pauvre, le capitaliste que l’ouvrier, la personne socialement bien intégrée que le marginal, le magistrat, le policier ou le prêtre qu’une autre personne, l’homme que la femme, l’adulte que l’enfant, l’instruit que l’ignorant, l’enseignant que l’élève, l’habitant du lieu que l’étranger, celui qui parle la langue locale que celui qui ne la connaît pas, Berlusconi que ses accusateurs, etc.

 

Il faut prendre acte que l’effet social d’un même acte est déterminé, au-delà de l’acte lui-même, par les circonstances sociales dans lesquelles il est accompli et par la condition sociale de qui l’a accompli. Même la législation bourgeoise tient compte dans une certaine mesure des circonstances, pour atténuer ou aggraver. Mais l’ « égalité devant la loi » et la domination absolue de la loi dans une société divisée en classes créent le règne des escrocs (à chaque loi, sa manière de la tourner). Qui a de meilleurs moyens et relations et est plus malin utilise la loi en sa faveur et s’en sert pour ses manigances, enrôle des avocats habiles et convainc, même légalement, magistrats, experts et témoins. Les délinquants, même responsables de graves délits, sont absous, et s’en sortent avec rien ou presque rien, ou ne sont même pas traduits en justice. Plus ils sont déterminés, habiles et organisés, donc plus ils sont socialement dangereux, plus ils sont tranquilles et s’en sortent bien. Des innocents ou des personnes qui ont violé la loi par nécessité, par désespoir ou par ignorance sont par contre condamnées. Jusqu’à des résultats paradoxaux : une femme qui tue son exploiteur est un assassin, le vol de nourriture est un délit alors qu’un faux dans un budget n’est qu’une infraction réparée avec une amende, la faim qui entraîne la mort n’est un délit pour personne, en Californie avec la loi « third stroke out » (que la Cour Fédérale des USA a validée) un garçon ou un noir qui est pris trois fois à voler une pomme dans un supermarché peut être condamné à la prison à vie pendant que les dirigeants d’Enron et de Worldcom, les pollueurs et les spéculateurs sont de riches et intouchables citoyens.

 

La lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie ne se fait pas avec les critères juridiques dont l’instauration a aidé la bourgeoisie à se substituer à la noblesse et au clergé comme classe dominante. La bourgeoisie elle-même depuis que nous sommes entrés dans l’époque impérialiste a abandonné l’application impartiale de la loi égale pour tous, spécialement dans les conflits politiques et du travail. En Sicile occidentale après la deuxième guerre, les associations paysannes faisaient rapidement disparaître la Mafia, jusqu’à ce que l’État central intervint avec ses gendarmes, policiers, prêtres, notables et espions pour réprimer les associations paysannes. La « sûreté nationale » et non plus l’ « inviolabilité des droits du citoyen » guide l’administration de la justice et la vie politique des sociétés bourgeoises (contre-révolution préventive).

 

Dans l’ancienne société il était normal que les parents frappent les enfants, « ça sert à leur éducation ». Mais c’était une violation de la morale en plus que de la loi qu’un enfant batte un parent. Lorsque en URSS un gamin, Pavlik Morozov, dénonça son père qui conspirait avec les koulaks contre le socialisme, ses parents et d’autres habitants du village furent tellement indignés qu’ils le tuèrent lui et d’autres pionniers qui le soutenaient. Beaucoup de femmes eurent la même fin lorsqu’elles se rebellèrent individuellement contre les maris et la famille. La dictature de la classe ouvrière luttait contre toute cette crasse avec la mobilisation des masses et la lutte de classe, plutôt qu’avec la loi et la police. L’application de la loi devait servir la lutte de classe et la transformation de la société, non pas les entraver.

 

Au long de la vie des premiers pays socialistes le « renforcement de la légalité socialiste » fut par contre le drapeau derrière lequel se regroupèrent les ennemis du socialisme. Mais en définitive dans ses effets sociaux cette légalité n’était pas moins négative pour les masses populaires et moins favorable à la conservation des droits acquis et des privilèges hérités de l’ancienne société parce qu’elle était embellie avec l’appellation de socialiste. Les révisionnistes modernes insistèrent sur la « légalité socialiste », sur la subordination du parti et de ses OdM à la loi impartiale et égale pour tous ; évidemment ils prirent aussi appui sur des erreurs et excès commis dans la lutte de classe, les exagérant et même en les inventant. Kroutchev entama en 1956 sa campagne de masse contre le socialisme en dénonçant les « violations de la légalité socialiste ». Au fur et à mesure qu’ils obtinrent quelques succès dans cette prétention, que dans la plupart des pays socialistes la gauche ne contesta pas ouvertement et systématiquement, le résultat ne fut pas seulement l’affaiblissement des pays socialistes jusqu’à leur écroulement, mais la création du règne du crime organisé qui connaît la loi et sait l’employer à son propre avantage pour faire taire ses opposants. La lutte pour la « légalité socialiste » et pour la subordination du parti communiste à la loi fut et reste un des drapeaux de la bourgeoisie dans la phase de retour graduel et pacifique au capitalisme. On en a encore aujourd’hui un exemple avec la République populaire de Chine, après le 16ème congrès du PCC tenu en novembre 2002.

 

Le rapport d’unité et de lutte entre ces deux structures de pouvoir, cette particularité spécifique des premiers pays socialistes, apparaît clairement aussi dans la période de leur décadence. Le révisionnisme moderne élimina comme antidémocratiques les mesures de discrimination positive, l’affectation claire de chaque individu à la classe sociale d’appartenance et la liaison entre celle-ci et ses droits politiques et civils, la discrimination contre les ennemis de classe. Il proclama que la division en classes s’était déjà éteinte, réduisit les ennemis du socialisme aux opposants politiques (les « dissidents »), arrêta et renversa le procès de substitution de la première structure de pouvoir à la deuxième, exalta l’autonomie et la stabilité de la structure d’État « de tout le peuple ». Les révisionnistes, tout en se couvrant parfois de proclamations retentissantes en sens contraire (du reste Kroutchev en 1961 lança en grande pompe un plan qui aurait dû amener l’URSS à construire en 20 ans rien de moins que la société communiste !), prirent peu à peu dans la pratique des mesures qui donnaient la prééminence aux institutions d’État présentées comme des institutions au-dessus des classes : « de tout le peuple » comme Kroutchev le proclama en URSS déjà au 22ème congrès (en 1961) et comme le dit la Constitution soviétique de 1977, et ils transformèrent un peu à chaque fois le parti et les organisations de masse en associations privées, « propriétés » de leurs membres, fermées à la participation et aux critiques des masses. Mais l’affaiblissement de la structure de pouvoir du premier type fit émerger soit le manque de limitation à l’arbitraire de la structure de pouvoir du second type dont l’activité jusqu’alors avait été guidée pas tant par des lois écrites, formellement égales et neutres, que par l’orientation révolutionnaire du parti, soit l’incapacité de l’appareil d’État à gouverner une société socialiste. En effet dans celle-ci, les moyens d’initiative et de discipline sociale propres à la société bourgeoise n’existaient déjà plus. Les dirigeants n’étaient pas sélectionnés, stimulés et disciplinés par l’accumulation du capital, l’enrichissement individuel, la concurrence. Les multiples relations d’affaires, complicités d’intérêts et associations qui dans les pays capitalistes constituent la « société civile » n’existaient pas entre eux. Les travailleurs n’étaient déjà plus subordonnés à la contrainte économique dans la mesure nécessaire à une société bourgeoise. Ils ne pouvaient pas être licenciés parce que le droit au travail était pratiqué universellement. Le salaire individuel avait une importance réduite parce que certains biens essentiels (nourriture, logement, chauffage, énergie électrique, eau, transports collectifs, etc.) et les services de base (instruction, santé, l’etc.) étaient ou gratuits ou à des prix minimes. Les révisionnistes ressentaient toutes ces conquêtes du socialisme comme une camisole de force qui les étouffait et qui rendait vains tous leurs efforts pour diriger selon leurs vues. En URSS en 1989, lorsque Gorbatchev et ses acolytes dissolvirent le PCUS, on s’aperçut que le parti était encore le vrai tissu des organes d’État et du pays et on vit que sans parti l’État ne fonctionnait pas : chaque région et secteur allait de son côté, les boss locaux grandis dans le régime révisionniste créaient autant de « royaumes autonomes ». Le groupe de bandits unis autour d’Eltsine dut suer sang et eau et se servir de l’aide des impérialistes occidentaux pour construire une administration d’État unitaire et la chose n’est pas encore entièrement réalisée. Par rapport à celle-ci, le réseau de la criminalité organisée qui s’était déjà formé durant l’époque révisionniste, a assumé le rôle qui dans les vieux pays capitalistes était assumé par la société civile, avec le résultat que les relations entre les « nouveaux » pays capitalistes et les vieux accélèrent le procès de transformation de la société civile en société criminelle déjà bien en cours dans les pays capitalistes les plus avancés. Il semble que les révisionnistes chinois aient appris la leçon et maintiennent fermement le rôle du parti pendant qu’ils sont engagés à construire une bourgeoisie avec sa « société civile ». Le rôle du parti et de ses associations de masse une fois aboli ou réduit, l’État disposait seulement de la violence comme moyen de discipline sociale : un moyen trop grossier pour diriger de façon efficace une société moderne et entièrement inadapté pour la diriger de manière efficiente. « Il faut que le poste de travail et la maison cessent d’être un droit et deviennent quelque chose qu’on doit conquérir », proclama dès les années 70 un haut dirigeant de l’Europe Orientale (le polonais Mieczyslaw F. Rakovski, qui sera premier ministre en 1989). Dans la phase d’ascension des premiers pays socialistes par contre l’État, entendu dans le sens étroit du terme, pu remplir et remplit remarquablement son rôle, parce qu’il fut soutenu par le parti communiste et ses organisations de masse et qu’il travailla conformément à leur orientation et sous leur contrôle.

 

À l’épreuve des faits le système de direction des premiers pays socialistes s’est révélé capable de résister à tous les types d’agression de la part de la bourgeoisie et des autres classes réactionnaires, capable de corriger ses erreurs et de diriger l’activité des masses populaires dans chaque domaine (économique, culturel et civil) avec des résultats jamais atteints auparavant en ampleur et rapidité. La réalité a montré que les ennemis que devait craindre un tel système de direction étaient principalement les ennemis intérieurs, liés à la persistance de la division de classe et de la lutte de classe dans le cadre de la société socialiste elle-même : la bourgeoisie spécifique de la société socialiste. Un tel système de direction pouvait dégénérer, mais il ne pouvait être brisé par ses ennemis extérieurs.

 

Pour évaluer correctement la force intrinsèque que la combinaison de leur ligne de transformation de la société et de leur système de direction donna aux pays socialistes (qui les rendit résistants à toute agression de l’extérieur), il faut tenir compte également des faits suivants :

 

1. Les premiers pays socialistes furent dirigés par des individus qui, dans leur immense majorité, n’avaient pas de formation et d’expérience antérieures de direction et de commandement.

 

2. Ils durent écarter et frapper de mesures discriminatoire une bonne partie des classes les plus cultivées de l’ancienne société ; celles-ci avaient une plus grande expérience d’organisation, de direction et de commandement, davantage de relations sociales internes et internationales et disposaient encore souvent de moyens financiers considérables ; de toute façon elles étaient toujours dotées d’un patrimoine culturel avec lequel elle faisaient chanter la nouvelle classe dirigeante et exerçaient des pressions de toutes sortes sur elle. Un ex-haut dirigeant ou un intellectuel qui se considéraient maltraités avaient dans les pays socialistes bien d’autres moyens pour se faire valoir que ceux d’un simple ouvrier, des bonnes ou d’une ménagère dans un pays capitaliste, même le plus démocratique et progressiste.

 

3. Ils durent faire face à des pays qui avaient une organisation d’État éprouvée grâce à une longue expérience et relativement stable, et à une classe dirigeante forte d’une longue tradition de domination.

 

4. La nouvelle classe dirigeante qui se formait dans les pays socialistes était composée (il ne pouvait en être autrement) d’individus qui, du fait de la nature même du rôle social qu’ils jouaient, acquéraient inévitablement certaines caractéristiques des membres des anciennes classes dirigeantes et devaient exercer des fonctions, avoir une activité et adopter des coutumes et des usages dans une certaine mesure analogues à ceux des membres des anciennes classes dirigeantes. Et cela d’autant plus que le pays était économiquement et culturellement arriéré. Ils étaient d’autant moins facilement remplaçables que le pays était arriéré. Leurs conditions de vie et leur culture devaient être d’autant plus éloignées de celles des masses que le pays était plus arriéré. Cela faisait d’eux un groupe social relativement restreint d’individus, chacun personnalisant un certain pouvoir social. Chacun devenait une cible tentante pour la bourgeoisie internationale: soit pour ses balles de plomb, soit pour ses balles enrobées de sucre. Chacun risquait de reproduire les procédures et les méthodes de direction de la bourgeoisie, de se fossiliser et de se transformer de promoteur de l’émancipation des masses en obstacle à l’émancipation des masses. Tous facteurs qui rendaient forte la probabilité que des représentants de cette nouvelle classe dirigeante deviennent les membres de la nouvelle bourgeoisie, spécifique des pays socialistes, des promoteurs d’une ligne qui consolidait les divisions de classe encore persistantes.

 

La conscience superficielle que les communistes avaient, au moins jusqu’à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (1966-1976) lancée par le Parti communiste chinois dirigé par Mao Tse-tung, des rapports de production dans les sociétés socialistes, facilita le renforcement de cette bourgeoisie spécifique des sociétés en transition du capitalisme au communisme. Les épurations qui par vagues frappèrent la classe dirigeante des pays socialistes répondaient donc à une loi générale du socialisme, même si le plus souvent elle fut appliquée dans les premiers pays socialistes sous la pression de la nécessité, instinctivement, avec peu de conscience scientifique et donc avec une grande part de confusion et d’erreurs. Si les bruits qui courent selon lesquels Staline préparait au début de 53 une nouvelle et vaste épuration du parti et de l’État, situation qui peut-être poussa quelques uns des plus haut dirigeants proches de lui à accélérer sa mort, reflétaient la réalité, ce serait la confirmation de la grande intuition révolutionnaire de Staline. De toute façon l’Union soviétique en avait besoin après la pause dans la lutte de classe observée pour faire à front à l’agression fasciste nazi dans le cadre de la ligne de Front Populaire Antifasciste décidée au 7ème congrès de l’Internationale Communiste (1935). Il est sûr que les principaux candidats à sa succession, Lavrenti Beria et Nikita Kroutchev, étaient tous deux partisans d’une libéralisation importante du régime dans le sens du renforcement des pouvoirs, du rôle et de la stabilité de la classe dirigeante en place plutôt que d’une nouvelle épuration.

 

La grande force intrinsèque des premiers pays socialistes est entièrement compréhensible : il suffit de considérer que la concentration d’énergies, ressources, expériences, connaissances et informations représentée par le parti communiste étendu à tout le pays et relié par l’Internationale aux partis communistes du reste du monde, faisait que les ouvriers directement ou indirectement (par l’intermédiaire de leurs organisations de masse) reliés au parti, avaient une orientation juste et lançaient des mots d’ordre justes, tandis qu’aucun d’eux n’y serait jamais arrivé tout seul.

 

Cela introduisait dans la large base de la pyramide de classes, de secteurs et de régions héritée de l’ancienne société, un facteur de croissance culturelle et civile qui subvertissait la vieille structure et les vieilles conceptions. Le parti à son tour tirait de chacun des membres de sa structure de base une masse d’informations à laquelle tout seul aucun dirigeant ne serait jamais arrivé, pour autant qu’il fut un observateur aigu et expérimenté. Cela concentrait dans le parti une connaissance véridique, profonde et opportune des nécessités, des aspirations, de l’état d’esprit et des capacités des masses populaires de tout le pays. Le parti devenait ainsi en mesure d’élaborer cette connaissance à la lumière du patrimoine universel du mouvement communiste et de la traduire en ligne, objectifs, méthodes et mots d’ordre. Par elle-même cette structure reliait entre eux les ouvriers des entreprises de tout le pays. A travers elle les ouvriers de chaque entreprise tiraient profit du bilan et des enseignements des luttes conduites par les ouvriers de tout le pays, étaient informés et en mesure d’exprimer de la solidarité et donc ainsi de soutenir les luttes des ouvriers de tout le pays pour porter en avant la transition vers le communisme. Le mécanisme qui animait ce procès était régulé par le centralisme démocratique et était animé par la pratique de la critique-autocritique-transformation et par la lutte entre les deux lignes. Il anima et poussa à la lutte et vers la victoire l’ensemble de la classe ouvrière et les masses populaires dans chacun des premiers pays socialistes dans leur phase de développement : jusqu’à la seconde moitié des années 50 pour ce qui concerne l’Union soviétique et les démocraties populaires de l’Europe Orientale et jusqu’à la fin des années 70 pour ce qui concerne la RPC.

 

 

7.

 

Ce qui fit l’originalité des premiers pays socialistes, c’est précisément la structure du pouvoir du premier type. Avec une vision superficielle des choses, on pourrait penser qu’il s’agissait simplement d’une structure organisatrice (le parti et ses organisations de masse), infiltrant avec ses organismes de base et ses membres chaque coin du pays et chaque secteur de la société civile et politique. Mais peut-on dire que le parti communiste se réduisait à une organisation directement ou indirectement présente (à travers ses organisations de masse) dans tous les coins de la société ? Absolument pas. La mobilisation de la classe ouvrière et des autres classes opprimées de la vieille société par l’entremise du parti communiste et de ses organisations de masse, était étroitement liée à la nature des tâches pour lesquelles le parti mobilisait les masses. Les bourgeois n’y ont vu, de manière unilatérale, que l’aspect organisationnel. La façon dont les

 


« D’un point de vue général, la différence entre la démocratie bourgeoise, parlementaire, et la démocratie soviétique ou prolétarienne se ramène en fait à ce que la première plaçait son centre de gravité dans la proclamation solennelle et pompeuse de toutes sortes de libertés et de droits, tout en empêchant la majorité de la population, c’est-à-dire les ouvriers et les paysans, d’en jouir de façon tant soit peu suffisante. La démocratie prolétarienne ou soviétique, par contre, est centrée non sur la proclamation de droits et de libertés pour tout le peuple, mais sur la garantie réelle que les masses laborieuses qui étaient exploitées et opprimées par le capital auront vraiment accès à la direction de l’État, pourront vraiment utiliser les meilleurs bâtiments et locaux pour leurs réunions et leurs congrès, disposer des meilleures imprimeries et des plus gros stocks de papier pour l’instruction de ceux que le capital abrutissait, sur la garantie que ces masses aurons réellement (pratiquement) la possibilité de se libérer peu à peu du poids des préjugés religieux, etc, etc. Une des tâches les plus importantes du pouvoir soviétique, qu’il doit poursuivre sans relâche, consiste donc à donner aux travailleurs et aux exploités la possibilité de jouir réellement de tous les biens de la culture, de la civilisation et de la démocratie » (Projet de programme du PC(b)R, 1919 OC Lénine vol 29, p 106).


 

communistes arrivaient à mobiliser, dans tous les domaines, la masse des travailleurs et de toute la population pour réaliser des tâches fixées par le gouvernement, les a stupéfaits et a suscité leur admiration. L’hégémonie et le prestige des pays socialistes se sont manifestés aussi dans ce domaine. La bourgeoisie a cherché à les imiter sur ce plan, comme elle a singé les pays socialistes en créant des instituts et des commissions pour la planification économique, et de l’Italie de Mussolini jusqu’aux USA de Roosevelt, en créant des secteurs d’économie publique. Keynes prêchait l’intervention de l’État dans l’économie, et Hitler l’a réalisée. Les états-majors bourgeois étudiaient les doctrines militaires de l’Armée Rouge et les écrits militaires de Mao Tse-Toung. Même la bourgeoisie avait besoin, comme le disait W. Churchill « d’amener la masse du peuple à une collaboration réelle avec l’honneur et les intérêts de l’État ». Elle pensait qu’il suffisait d’acheter des hommes de confiance, de les endoctriner, de les infiltrer dans chaque secteur de la société : bien entendu, cela signifiait pour elle de les infiltrer parmi les travailleurs et en particulier parmi les ouvriers. Avec les moyens à sa disposition et avec le prestige social de ses représentants et de ses institutions, il ne fut pas impossible à la bourgeoisie impérialiste de recruter un groupe d’hommes à son service dans chaque entreprise, chaque école, chaque bureau ou atelier, chaque détachement de l’armée ou de la police, chaque tribunal, chaque institution. C’est ce que fit explicitement et sur une grande échelle d’abord le fascisme en Italie, puis le nazisme en Allemagne. C’est ce que fit le Vatican avec ses organisations ouvrières et ses syndicats blancs. C’est ce que firent les groupes impérialistes US en s’adaptant à la tradition et aux conditions des USA, avec la grande expansion des syndicats patronaux et avec le développement du FBI. Dans les années 20 et 30, dans chaque pays, la bourgeoisie chercha à construire des organisations publiques et des organisations secrètes de contre-révolution préventive, inspirées du modèle des pays socialistes. Du reste, c’était le modèle appliqué dans le passé par le clergé lui-même dans beaucoup de pays : un prêtre pour chaque centaine de personnes avait suffi à endoctriner, contrôler et diriger la masse de la population tant que les temps restaient tranquilles. Mais la question posée restait celle-ci : tout cela ne résistait que si les contradictions sociales ne dépassaient pas un certain seuil d’antagonisme. La forme de direction que les premiers pays socialistes avaient inventée ne fonctionnait (et fonctionnait remarquablement) que pour mobiliser les masses populaires pour la réalisation de leurs objectifs propres, conformes à leurs intérêts objectifs de classe. Chercher à l’employer pour des objectifs contraires aux intérêts des masses populaires ne marche pas. Dans le cas des pays bourgeois, les organisations ramifiées créées par la bourgeoisie se révélèrent tout à fait impuissantes dans les circonstances où justement elles auraient dû être les plus nécessaires : lorsque les sociétés bourgeoises eurent à affronter les épreuves les plus difficiles - les crises et les guerres. Même dans les pays socialistes, lorsque la direction des partis communistes se retrouva sous la coupe des révisionnistes, l’organisation communiste se transforma graduellement, dans une certaine mesure, en une organisation semblable à celles créées par la bourgeoisie impérialiste, pour ensuite subir le même sort. En trahissant les intérêts de classe des ouvriers, les révisionnistes modernes corrompirent ou démoralisèrent peu à peu les membres du parti, en particulier les ouvriers et, ce faisant, ils effritèrent la cohésion même du parti.

 

Une chose est une cellule de communistes, de personnes culturellement d’avant-garde, généreuses et courageuses, qui, soutenues par la force sociale concentrée dans le Parti et dans l’État, mobilisent leurs compagnons pour résoudre leurs problèmes immédiats, élargir leurs connaissances et élever leur conscience jusqu’à devenir des membres actifs et conscients à part entière de la société, pour comprendre et participer à la réalisation des tâches socialement nécessaires, même celles qui sont étrangères à l’expérience immédiate et directe des individus, pour améliorer leur vie, s’améliorer eux-mêmes et améliorer leurs relations avec le reste de la société. Toute autre est une organisation même très ramifiée d’individus qui doivent convaincre et contraindre leurs compagnons de travail ou leurs voisins de rester soumis à la classe dominante, de travailler et se sacrifier pour servir ses intérêts et alimenter ses privilèges, et qui doivent faire croire à leurs compagnons de travail et à leurs voisins que les intérêts de la classes dominantes sont les mêmes que les leurs, que « nous sommes tous dans le même bateau ».

 

Le devoir des premiers est soutenu et renforcé par la puissance précise de l’expérience directe et immédiate de chaque membre des masses. Le devoir des seconds est par contre démenti et contredit précisément par l’expérience directe et immédiate à laquelle la bourgeoisie ne peut pas soustraire les masses.

 

Entraîner minutieusement les masses, et en premier lieu les ouvriers, à faire et réaliser avec élan et générosité les tâches de la société est une nécessité et une aspiration de la classe dirigeante dans toute société dans laquelle les forces productives sont déjà collectives. Même la bourgeoisie le souhaiterait. Mais la question est bien que dans les premiers pays socialistes, grâce à la direction du parti communiste, les tâches, même les plus abstraites et universelles de la société, coïncidaient avec les besoins et les aspirations de la classe ouvrière, et jusqu’à un certain point même avec ceux du reste des masses populaires. Il fut donc possible de créer et de développer avec continuité cette mobilisation capillaire. Mais ce fut la ligne de transformation communiste de la société suivie par le parti communiste qui a rendu possible la mobilisation capillaire des masses, ce fut la ligne l’élément décisif en tout. Le parti communiste réussit à être un phare autour duquel se réunirent les masses, et qui indiqua la route qu’elles suivirent effectivement, parce que la route que le parti indiquait était la route qu’elles reconnaissaient comme la leur, et qu’au fur et à mesure qu’elles la parcouraient, se confirmait être bien la leur.

Organisation communiste, ligne de transformation communiste de la société et ligne de masse (la méthode de direction) vont de pair, et c’est la ligne et la méthode communiste qui constituent la partie décisive. Avec la ligne et la méthode communiste, il est possible de créer une organisation qui n’existait pas. Alors qu’une organisation, aussi présente et ramifiée qu’elle soit au sein des masses (et évidemment, la bourgeoisie avec son argent et son influence morale et intellectuelle peut en construire des ramifiées), mais qui promeut et impose des objectifs et des buts contraires aux intérêts et aux aspirations des masses, échouera tôt ou tard. Ses membres se retrouveront isolés des masses, ou bien subiront eux-mêmes l’influence des masses : ils se transformeront en policiers, en espions, en assassins haïs des masses, ou bien ils n’obéiront plus aux directives et aux sollicitations qu’ils reçoivent d’en haut.

 

C’est ce que fut l’expérience des organisations publiques fascistes et nazis avec lesquelles la bourgeoisie a imité les partis communistes et cherché à contrôler et à diriger les masses populaires. Les révisionnistes modernes ont confirmé avec leur triste fin la même loi : ils conduisirent dans les premiers pays socialistes les partis communistes dont ils avaient conquis la direction à se transformer en partis incapables d’orienter et de mobiliser les masses, et haïs par les masses. Ce n’est que le gouffre de barbaries où les a précipités la « restauration du capitalisme à tout prix et par tous les moyens » effectuée après 1990 qui a réhabilité dans une certaine mesure aux yeux des masses populaires dans les ex-pays socialistes d’URSS et d’Europe Orientale les groupes révisionnistes, comme en témoignent leurs récents succès électoraux.

 

La capacité de direction du parti communiste et de ses organisations de masse était donc étroitement liée à la tâche de transformation de la société que le parti poursuivait.

 

En effet, dans la période de son ascension, dans chaque pays socialiste chaque rapport social a été soumis à vérification, rien ne fut soustrait au principe de la critique et de la transformation. Chaque entrave à la réalisation d’un meilleur bien-être matériel et moral des masses populaires imposé par la propriété privée des ressources économiques et intellectuelles de la société et par la tradition fut ôté ou limité. Les revenus ne provenant pas du travail furent limités ou entièrement abolis. L’obligation d’effectuer un travail socialement reconnu comme nécessaire ou au moins utile devint universelle. Déjà dans la Constitution de la République Socialiste Fédérative Soviétique Russe de 1918, il est affirmé explicitement que « le service général du travail est obligatoire pour toutes les personnes entre 14 et 50 ans ». Le travail devient l’unique source et l’unique justification du revenu individuel. C’est ainsi que furent asséchées les principales sources de la criminalité : celles qui relèvent des besoins individuels comme celles qui relèvent de l’avidité pour les richesses personnelles et de la volonté de se soustraire à sa contribution personnelle au travail. La plupart des comportements asociaux hérités de la vieille société devinrent récupérables : la réinsertion sociale des criminels cessa d’être une hypocrisie. « Qui ne travaille pas ne mange pas » devint un critère universellement pratiqué et imposé sous le contrôle omniprésent des masses. L’insertion de chaque individu dans la société devint l’objectif normal de la société envers chaque individu, sans attendre que son exclusion devienne source de comportements asociaux et criminels. L’élimination de l’analphabétisme, l’accès à l’instruction supérieure, l’émancipation des femmes, l’élimination de la marginalisation sociale et de la discrimination raciale et nationale, la participation au patrimoine culturel de la société, aux activités sociales et à leur gestion atteignirent des niveaux jamais atteints avant dans aucun pays.

 

La discrimination positive devint un critère largement pratiqué : partout où l’accès à un rôle social, une école, ou une promotion, étaient limités par la force des choses, furent mises en vigueur des mesures qui visaient à promouvoir effectivement les membres des anciennes classes opprimées (ouvriers, paysans), les membres des minorités nationales et des nations les plus arriérées et opprimées, les femmes. Ceci pour corriger l’injustice que les mécanismes économiques et sociaux hérités de la vieille société perpétuaient. Les jérémiades des anciennes classes dirigeantes qui se plaignaient de ce que les fils d’ouvriers et de paysans prenaient la place de leurs rejetons furent une constante de tous les pays socialistes. La révolution culturelle effectuée en URSS (1927-1932) fut l’application systématique de la discrimination positive dans l’accès aux institutions d’éducation et dota l’URSS d’un grand nombre de techniciens, d’hommes cultivés et de dirigeants d’origine ouvrière et paysanne. Souvent même des ouvriers et des paysans choisis par leurs collectifs de travail, et détachés de la production, fréquentaient les institutions culturelles et les universités, ou exerçaient des fonctions dirigeantes. (9)

 

La mise en œuvre de toutes ces transformations fut évidemment graduelle et se fit par étape. Elle se fit à des vitesses différentes suivant le niveau de développement de la lutte des classes et du degré de développement culturel du pays, des régions et des groupes sociaux. La méthode de direction, appelée plus tard par Mao « ligne de masse », impliquait que le parti mobilisait les

 


 

Les rapports de production comprennent :

1. la propriété des forces productives, propriété juridique ou au moins le pouvoir d’en disposer à sa guise ;

2. les rapports entre les hommes au sein de la production : la division entre le travail d’exécution et le travail de direction et d’organisation, entre le travail manuel et le travail intellectuel, entre les hommes et les femmes, entre les jeunes et les adultes, entre la campagne et la ville, entre les races, les nations, les régions et secteurs arriérés et les races, les nations, les régions et les secteurs avancés, entre la production des biens et des services et l’administration publique, entre le travail ouvrier et le travail de bureau, entre les petites et les grandes exploitations, entre les divers secteurs productifs, entre le travail simple et le travail qualifié ;

3. la distribution de la production entre les individus, entre les unités de production et pour la consommation collective (les rapports de distribution).

Dans les pays socialistes dans lesquels la production privée individuelle des moyens de production est déjà abolie pour l’essentiel, la bourgeoisie est principalement constituée par les dirigeants du parti, des organisations de masse, de l’État, des unités de production et des autres institutions publiques qui s’opposent à la marche en avant possible de la transformation au sens communiste des trois aspects des rapports de production.


 

masses pour réaliser d’étape en étape les mesures progressives que les masses reconnaissaient comme justes du fait de leur propre expérience. Le parti formulait ces mesures en théorisant l’expérience des masses et les proposait aux masses en les propageant, en montrant leur efficacité grâce à des expériences-type et d’autres initiatives, de telle sorte que les masses s’en emparent et les généralisent. Souvent il généralisait des expériences d’avant-garde accomplies par des secteurs avancés des masses elles-mêmes, en les désignant comme exemples : il suffit de penser aux « samedis communistes » exaltés par Lénine (« La grande initiative » juillet 1919), et au rôle développé en RPC par les paysans de Tachai et les ouvriers de Taching (Oeuvres de Mao Tse-Toung).

 

Les premières mesures concrètes avec lesquelles la classe ouvrière fit avancer la transformation de la société furent en partie dictées par des besoins immédiats qui existaient au moment où la classe ouvrière prit le pouvoir : faire front avec des mesures concrètes, sur la base des ressources existantes et des capacités d’organisation et d’administration que la classe ouvrière et les masses populaires avaient, aux besoins immédiats individuels et collectifs des masses populaires, les satisfaire dans la plus grande mesure possible, combiner la satisfaction des besoins immédiats avec la création des conditions nécessaires à la reproduction élargie et à la défense, en adoptant à cette fin les systèmes et les mesures qui valorisaient et développaient le plus la créativité et l’initiative des masses populaires, qui favorisaient leur mobilisation et leur organisation (10).

 

Les mémoires de l’époque, même celles écrites par des anticommunistes, les récits des survivants de la période de développement des premiers pays socialistes, la littérature et les films de ces années, les journaux, etc.... tout témoigne de la mobilisation puissante, enthousiaste, généreuse et multiple des masses populaires pour transformer le monde et se transformer elles-mêmes. C’est cet élan de masse qu’ils surent susciter, et la direction qu’ils surent lui donner, qui ont permis aux partis communistes des premiers pays socialistes de faire accomplir à ces pays ces progrès miraculeux dans le champ économique et culturel, que la bourgeoisie impérialiste enviait et cherchait à étouffer, à cacher, et qui pendant plusieurs décennies a poussé les classes et les peuples opprimés du monde entier à lutter pour l’instauration de ce même socialisme (11).

 

 

8.

 

Pourquoi et comment les premiers pays socialistes ont-ils pris la voie de l’usure qui les a amenés à l’effondrement ? C’est que les communistes n’ont pas su trouver et indiquer la ligne capable de mener en avant la révolution dans les pays socialistes au-delà des résultats atteints et de soutenir efficacement la révolution socialiste dans les pays impérialistes ainsi que la révolution de démocratie nouvelle dans les pays arriérés opprimés par l’impérialisme. Pour reprendre les phrases du Manifeste du Parti communiste de 1848, ce fut l’incapacité des communistes à « connaître les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement prolétarien » (c’est à dire l’inadéquation de leur conception du monde ou de leur travail d’enquête et d’élaboration) qui les a empêchés de continuer à le « pousser en avant ». Au niveau mondial en 1945, à la fin de la seconde guerre mondiale, ils étaient convaincus, comme la bourgeoisie l’était d’ailleurs aussi, que la grande crise qui venait de se terminer avec la guerre allait recommencer. Ils comptaient que cette crise amènerait à l’effondrement des pays capitalistes et pousserait les masses populaires des pays impérialistes vers la révolution socialiste. Et donc ils ont sous-estimé le rôle de l’initiative subjective révolutionnaire.

 

En ce qui concerne l’Union soviétique et les pays socialistes d’Europe orientale, les communistes n’ont pas su mettre à profit le cri d’alarme lancé par Staline en 1952 dans l’ouvrage « Problèmes économiques du socialisme en Union Soviétique » sur l’urgence d’affronter les contradictions qui se manifestaient en Union Soviétique et dans les autres pays socialistes. Ils étaient convaincus que les conquêtes réalisées dans les premiers pays socialistes étaient devenues irréversibles avec la victoire dans la guerre contre l’agression des fascistes nazis, et avec la création d’un grand camp socialiste. Ils étaient en outre convaincus que les contrastes de classe s’étaient atténués en Union Soviétique. Nous avons déjà vu que cette thèse était déjà exprimée dans la constitution de 1936 et dans les statuts du parti approuvés au 18ème congrès de 1939. Pour la gauche, cela signifiait une pause dans la lutte de classe, imposée par la nécessité de renforcer à l’intérieur et internationalement l’unité contre le fascisme nazi. C’était l’application spécifiquement soviétique de la ligne du Front Populaire Antifasciste approuvée au 7ème congrès de l’Internationale Communiste en 1935. Mais cela a eu inévitablement l’effet collatéral de renforcer la droite dans le parti, et aussi la bourgeoisie dans la société ainsi que l’infiltration des agents impérialistes en URSS. La collaboration avec les pays capitalistes « démocrates » (les USA et la Grande Bretagne) pendant la guerre a affaibli en Union Soviétique les discriminations de classe, a permis et imposé la création de liens multiples entre la bourgeoisie impérialiste et les dirigeants de l’Union Soviétique (au sein desquels était nichée la nouvelle bourgeoisie caractéristique des pays socialistes) (12). L’issue victorieuse de la guerre contre le fascisme nazi et la formation du camp socialiste après la guerre ont montré que la ligne de Front Populaire Antifasciste était juste. Mais une fois finie la guerre, il fallait reprendre la lutte des classes à une grande échelle et donc les discriminations de classe
-  nécessaire jusqu’au moment où la division de classe est effectivement éteinte. Staline avait du reste clairement compris et énoncé la loi selon laquelle les contradictions de classe s’aiguiseraient encore, au fur et à mesure de l’avancée de l’Union Soviétique vers le communisme. Mais, comme l’ont montré déjà la discussion sur la constitution de 1936 et le débat du 18ème congrès (1939), la gauche dans les partis communistes, PCUS compris, n’avait pas une claire conscience de la nature de la nouvelle bourgeoisie qui se forme inévitablement dans les pays socialistes eux-mêmes. Elle n’avait d’yeux que pour la vieille bourgeoisie propriétaire sur le plan juridique des moyens de production et pour ses manifestations résiduelles dans le champ économique et culturel. Elle avait donc une compréhension inadéquate de la nature des rapports de production qui n’a été éclaircie que plus tard par Mao Tsé-Toung, sur la base justement de l’expérience soviétique. En Union Soviétique, les appels de Zdanov (1946-1947) pour la reprise de la lutte de classes n’ont pas été intégrés à la ligne du parti, du fait de son soudain décès qui est vraisemblablement le résultat des liens que les impérialistes US avaient tissés avec l’URSS pendant la guerre, amplifiés par la suite par l’intégration des services secrets nazis. L’affrontement qui eu lieu justement au début des années 50 en Union Soviétique sur le
Manuel d’économie politique a été un symptôme de la nécessité d’une avancée radicale des communiste dans le champ théorique (13).

 

Dans ces conditions, la droite avait beau jeu. Elle soutenait pour les pays impérialistes des réformes et des conquêtes graduelles (« réformes de structure »), déjà anticipée dans les années 40 par Browder pour les USA. Pour les pays socialistes, la droite soutenait l’adoption de mesures de direction sociale semblables à celles déjà pratiquées par la bourgeoisie : l’atténuation ou la négation de la lutte de classe, l’élimination des discriminations positives qui doivent pourtant être employées jusqu’au moment où la division en classes est réellement éteinte, l’égalité de tous les citoyens devant la loi (c’est à dire des lois égales pour des citoyens encore inégaux), l’État « du peuple entier », le parti ouvert « à tout le peuple » sur la base du seul accord sur le programme politique, l’autonomie financière des entreprises et des rapports commerciaux entre elles, les résultats financiers comme principal critère d’évaluation de l’activité des entreprises, les incitations économiques individuelles comme principal moteur de l’initiative individuelle, la restauration des revenus ne provenant pas du travail, etc... Pour les pays coloniaux, la droite soutenait l’abandon de la révolution de démocratie nouvelle et le passage aux conditions d’un pays semi-colonial sous la direction de la bourgeoisie nationale, de la bourgeoisie compradore et de la bourgeoisie bureaucratique. Le chantage atomique exercé par les impérialistes US avec la destruction de Hiroshima et de Nagasaki (1945), la menace d’une guerre chimique et bactériologique mise en oeuvre en Chine et en Corée (1950-1953) et la course au réarmement (création de l’OTAN, etc...), tout cela a renforcé l’action interne de la droite. Pour elle, la convergence graduelle des deux systèmes sociaux capitaliste et socialiste (dont le célèbre physicien A. Sakharov a été le triste porte drapeau ) devait devenir la ligne à suivre dans les relations internationales. En réalité, le succès des révisionnistes modernes dans les partis communistes a été le commencement de la période de décadence des pays socialistes qui déboucha sur leur effondrement de 1990.

 

Certaines personnes qu’on dit être très à gauche soutiennent que les pays du camp socialiste ont été battus par des groupes et des États impérialistes. Ils soutiennent que ce serait dénigrer les pays socialistes que de soutenir la thèse que s’ils se sont écroulé, c’est la faute d’opérations de corruption et de corrosion menées de l’intérieur pendant des décennies par les révisionnistes modernes qui, à leur tour, auraient réussi à diriger les partis communistes, du fait des limites de la gauche de ces mêmes partis (qui n’aurait pas su répondre de façon adéquate aux tâches que la situation mettaient à l’ordre du jour). A part le fait que l’étude des évènements démontre la justesse de cette deuxième thèse, rappelons nous qu’après la défaite de la Commune de Paris (1871), Marx et Engels dénoncèrent certes la lâcheté et la férocité de la bourgeoisie, mais attribuèrent la défaite de cette héroïque entreprise, non pas à la bourgeoisie, mais bien aux limites et aux erreurs des communards (La Guerre Civile en France). Par là même, ils ne dénigrèrent pas la Commune, mais tirèrent plutôt de cette expérience des enseignements pour la première vague de la révolution prolétarienne. En tant que matérialistes dialectiques, ils savaient que les causes internes et non les causes externes sont en général le facteur principal du développement de toute chose.

 

La première vague de la révolution prolétarienne, dont les premiers pays socialistes ont été la grande création, s’est enlisée face aux tâches à résoudre après les grandes victoires des premières décennies. Dans un certain sens, c’est comme la Commune de Paris qui, une fois Paris conquis, n’a pas rempli la tâche de poursuivre et de liquider la bourgeoisie française qui s’était retirée pour se concentrer à Versailles et préparer la contre-attaque.

 

 

9.

 

Les premiers pays socialistes, bien qu’ils se soient effondrés, ont laissé une marque profonde dans le monde et posé des bases indélébiles pour notre futur.

 

En premier lieu, ils ont fait la démonstration pratique, sur une grande échelle, pendant une période relativement longue et dans des conditions variées, que les ouvriers et les autres travailleurs pouvaient s’associer, s’organiser et se diriger sans capitalistes et sans patrons. Dès aujourd’hui, la société actuelle, si nous la considérons bien, ne tiendrait pas debout sans le travail volontaire et zélé de millions de personnes qui, soit ne sont pas rémunérées pour leur travail (comme par exemple les mères de famille, les ménagères, les ouvriers qui font du travail syndical ou politique), soit sont rémunérées dans des proportions qui n’ont rien à voir avec le zèle et la passion qui les animent dans leur travail(14). Mais les travailleurs n’ont pas encore acquis de façon massive les aptitudes nécessaires pour se passer des patrons. Ils ne peuvent pas les développer s’ils ne commencent pas à s’en passer.

 

Des millénaires d’histoire ont enraciné la conviction que sans leurs maîtres, les travailleurs ne sont pas capables de s’organiser et de produire. Les patrons et leurs prêtres n’ont jamais cessé de réaffirmer le caractère sacré de leur rôle dans l’ordre social « naturel » voulu par leur dieu. Il est vrai que pendant des millénaires, la division de classe et l’exploitation ont eu un rôle progressiste : les sociétés qui ne les ont pas adoptées sont restées arriérées et ont finalement disparu. Cela a enraciné une conviction tellement profonde qu’il est difficile de s’en détacher, maintenant que la division en classes ne correspond plus à la nécessité et est même devenue une camisole de force qui nous étouffe et nous empêche d’utiliser les grandes forces productives disponibles pour améliorer les conditions matérielles et spirituelles de vie au lieu d’être des moyens de destruction et de grande oppression. Il s’agit d’une conception enracinée, comme celle de la discrimination à l’encontre des femmes ou les divisions nationales, dont les premiers pays socialistes ont montré à grande échelle le caractère arriéré et résiduel, malgré les bénédictions qu’elles reçoivent des prêtres.

 

En deuxième lieu, les premiers pays socialistes ont eu une fonction positive sur la lutte des classes dans le monde entier. Ils ont exercé pendant des décennies une pression constante sur les classes dominantes de chaque pays, et ont constitué une incitation permanente pour les classes et les peuples opprimés du monde entier auxquels ils ont apporté inspiration et soutien solidaire. Dans les années 30, alors que les pays capitalistes subissaient une crise terrible, l’URSS, qui pourtant s’était construite dans un pays dévasté par la guerre, était un pays arriéré et était l’objet de toutes sortes d’agressions incessantes et multiformes, accomplit des progrès énormes dans tous les domaines, assurant une vie digne à tous ceux qui travaillaient et généralisant le progrès culturel, sanitaire, etc. Sous la pression des premiers pays socialistes et du mouvement des masses populaires encouragées par leur exemple et leur ligne, la bourgeoisie impérialiste a été obligée de s’engager à montrer pratiquement aux travailleurs que « dans le capitalisme, c’était mieux que dans le socialisme ». Elle a dû faire des concessions de toutes sortes qui ont changé profondément les conditions matérielles et spirituelles des masses populaires. Ce sont des conquêtes que la bourgeoisie impérialiste tente aujourd’hui d’éliminer pour créer les conditions satisfaisantes pour la valorisation de son capital. C’est un grand progrès culturel qui, même dans cette période où le mouvement communiste, en tant que mouvement conscient et organisé, est extrêmement faible, a permis la grande mobilisation anti-impérialiste du 15 février contre les groupes capitalistes des USA qui ont voulu attaquer l’Irak. Aujourd’hui encore, la troupe de néonazis regroupés dans l’administration Bush défend sa politique de guerre préventive partout dans le monde en affirmant que les groupes impérialistes ne doivent pas permettre que se lèvent dans le monde des adversaires redoutables et omniprésents comme le furent l’URSS et le camp socialiste.

 

En troisième lieu, les premiers pays socialistes ont fait la preuve de la supériorité du communisme sur le capitalisme. Pendant la première vague de la révolution prolétarienne, sous la direction des partis communistes, les masses populaires ont vaincu la bourgeoisie impérialiste, repoussé toutes les tentatives de revanche et de restauration et toutes les agressions de la bourgeoisie impérialiste, et ont construit des pays socialistes invincibles et capables de réaliser de grands progrès dont l’influence rayonnait partout et inspirait force, confiance et élan aux masses populaires de chaque pays : la bourgeoisie impérialiste recourrait à tous les moyens pour se défendre de l’influence qu’ils avaient sur les masses populaires. Les défaites subies par les impérialistes US en Corée, dans la Baie des Cochons (Cuba) et au Vietnam restent dans la mémoire des prolétaires, comme dans celle des bourgeois. Ce n’est qu’après que, dans les partis communistes, les révisionnistes modernes aient pris la tête avec leurs solutions bourgeoises aux problèmes de la société socialiste et que les partis communistes ont prétendu diriger les sociétés socialistes non pas comme les vrais communistes les avaient dirigés (parti, organisations de masse, ligne de masse), mais bien comme les bourgeois dirigent leurs propres employés (dans les relations au sein des usines), les masses populaires (avec les politiques macro-économiques et la politique en général), et se dirigent eux-mêmes (démocratie bourgeoise et guerres inter-impérialistes), que les pays socialistes sont devenus instables, se sont mis à se protéger avec des barrières et des méthodes policières de l’influence de la bourgeoisie : les rapports de force s’étaient inversés.

 

En quatrième lieu, les premiers pays socialistes ont jeté une lumière nouvelle sur la nature et sur le rôle du parti communiste. Ils ont montré que pour être membre du parti communiste, les trois conditions posées au début du 20ème siècle par les bolcheviques (être d’accord avec le programme du parti, faire partie d’une de ses organisations, soutenir économiquement le parti avec ses moyens et ressources) n’étaient pas suffisantes. Chaque membre du parti communiste doit aussi être disposé à assimiler la conception matérialiste dialectique du monde et la méthode matérialiste dialectique d’agir et de penser (centralisme démocratique, critique-autocritique-transformation, lutte entre les deux lignes dans le parti, ligne de masse).

 

En cinquième lieu, les premiers pays socialistes ont montré où réside la bourgeoisie dans les pays socialistes. Lénine avait parlé avec raison d’un « capitalisme sans capitalistes » qui persistait dans le socialisme. L’expérience a montré que la formulation exacte était qu’il persistait un « capitalisme sans les anciens capitalistes », que les rapports de production capitalistes survivaient alors même que se développaient contre eux les nouveaux rapports de production communistes, et que la lutte entre les deux rapports était incarnée dans la lutte des classes spécifique de la société socialiste. La lutte entre les deux voies, entre les deux classes et entre les deux lignes est une loi qui appartient à toute la phase socialiste de l’humanité.

 

En sixième lieu, les premiers pays socialistes ont laissé un patrimoine d’expériences dans lesquelles nous pouvons et devons puiser pour comprendre comment il faut faire et comment il ne faut pas faire. Autant d’exemples positifs et d’exemples négatifs pour la prochaine deuxième vague de la révolution prolétarienne. C’est pourquoi il est indispensable que les groupes et les organismes qui travaillent pour la renaissance du mouvement communiste étudient à fond leur expérience. Les premiers pays socialistes ont tracé une route qu’aucune guerre préventive de la bourgeoisie impérialiste ni aucun exorcisme de ses prêtres ne pourront effacer. Aujourd’hui, c’est à nous, les communistes, d’assimiler l’enseignement des premiers pays socialistes et d’en faire usage, comme les dirigeants de la première vague de la révolution prolétarienne ont assimilé et utilisé l’enseignement de la Commune de Paris.

 

 


Notes bibliographiques pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet

 

1. Sur la question de Staline dans Oeuvres de Mao Tse-Toung, vol 20 (Edizioni Rapporti Sociali).

2. Sur l’expérience historique des pays socialistes dans Rapports Sociaux n° 9 (1993) et Que les communistes des pays impérialistes unissent leurs forces pour la renaissance du mouvement communiste, chap. 5 dans La Voce n°12 (2002) page 54 (traduit dans les Cahiers pour le débat dans le mouvement communiste mondial, n°1 janvier 2004.

3. Lénine, L’État et la Révolution dans OC vol 25.

4. Lénine, Les tâches immédiates du pouvoir des soviets dans OC vol 27 page 211 ; Lénine Sur l’infantilisme de gauche dans OC vol 27 page 292.

5. La constitution soviétique de 1977 de P. Biscaretti di Ruffia et G. Crespi Reghizzi (Edizioni A. Giuffré, 1979).

6.Modifications des statuts du PC(b) d’URSS, rapport présenté par A. Zdanov au 18ème congrès, 18 mars 1939.

7. Pour le bilan de l’expérience des pays socialistes dans Rapports Sociaux n° 3/4 (1991).

8. Constitution de la République Populaire Chinoise dans Oeuvres de Mao-Tse-Toung vol 25 (Edizioni Rapporti Sociali).

9. Projet de Manifeste Programme publié par le Secrétariat National des CARC (1998) chapitre 1.7. Disponible en français.

10. Karl Marx, Critique du Programme de Gotha.

11. Littérature disponible : voir la bibliographie ci-dessous.

12. Où est la bourgeoisie dans la société socialiste ? Rapporti Sociali n°22 (1998) p 26.

13. Notes de lectures des “Problèmes Économiques du Socialisme en URSS” et Notes de lecture du “Manuel d’Économie Politique d’URSS” dans Oeuvres de Mao Tse-Tung vol 16,17, 20 (Edizioni Rapporti Sociali).

 

Dans La Voce

 

2 Le rôle historique de l’Internationale Communiste - les conquêtes et les limites.

9 et 10 La huitième ligne de démarcation.

n°10 L’attitude de la première Internationale Communiste en Europe et le maoïsme.

n° 12 La révolution d’octobre et le 50ème anniversaire de la mort de Staline.

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Romans et essais

L’ère de Staline, de Anne Louise Strong.

Et l’acier fut trempé, de Nicolas Ostrovski.

Poème Pédagogique, de Anton Makarenko.

Des palais le lundi (Le stalinisme au quotidien), de Sheila Fitzpatrick.

Remarques relatives aux questions économiques soulevées lors de la discussion de novembre 1951, Staline.

 

Brochures

La révolution d’Octobre et certains de ses enseignements, Edizioni Rapporti Sociali.

 

Film

L’usine ouverte.

 

Articles théoriques de Rapports Sociaux

L’effondrement du révisionnisme moderne (n° 3/4 éd. française)

Sur le bilan de l’expérience des pays socialistes (n° 3/4 éd. française)

De nouveau sur le bilan de l’expérience des pays socialistes (n° 3/4 éd. française)

La restauration du mode de production capitaliste en Union Soviétique (n° 3/4 éd. française)

De l’expérience historique des pays socialistes (n° 9 éd. française)

Pour un bilan de l’expérience de construction du socialisme (n° 19 éd. italienne

Critique de « Pour une discussion sur l’expérience de la construction du socialisme » (n° 22 éd. italienne)

Les conquêtes pratiques réalisées par le mouvement communiste durant la période d’activité de l’Internationale Communiste (n°23/24 éd. italienne)

Le révisionnisme moderne (n° 23/24 éd. italienne)

A 50 ans de la fondation de la République Populaire de Chine (n° 23/24 éd. italienne)

 

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