EDIZIONI RAPPORTI SOCIALI
2003
Traduction française éditée par
du congrès de fondation du (nouveau) Parti communiste italien
Les premiers pays socialistes
Par Marco Martinengo
Cette brochure a été publiée à l’occasion du 50ème anniversaire de la mort de Staline (NdT)
Plan de la brochure
3 Brève esquisse de la formation, de l’ascension et du déclin des premiers pays socialistes.
4 Le rôle historique des premiers pays socialistes.
Nous devons profiter du cinquantième anniversaire de la mort de Staline (5 mars 1953) pour étudier l’expérience des premiers pays socialistes et la faire connaître.
S’ils interviennent à propos de cet anniversaire, les bourgeois, et tous ceux qui, par leur conception du monde, restent sous l’influence de la bourgeoisie discuteront de la personne de Staline (1879-1953), de ses caractéristiques et de son rôle dans l’histoire. La bourgeoisie de par sa nature a une conception fortement individualiste de l’histoire. Même si elle a reconnu que ce n’est pas Dieu qui fait l’histoire des hommes, elle reste sur la conviction que, dans le bien ou dans le mal, ce sont les grands personnages qui la font. Pour elle les premiers pays socialistes sont une création des grands personnages qui les dirigèrent. La majorité des bourgeois qui s’intéresseront à l’anniversaire sortiront de leurs armoires des discours plus ou moins élaborés sur « les crimes de Staline et du stalinisme ». Il est inévitable qu’il en soit ainsi. Effectivement pour les bourgeois, pendant des décennies, Staline a personnifié le cauchemar de la fin de leurs valeurs et de leurs privilèges, le cauchemar que les premiers pays socialistes ont fait peser sur leur existence. Ceux qui voudront se distinguer concèderons que l’homme avait aussi des qualités. Ceux qui voudront faire impression sur les habitués de leurs salons soutiendront que ce fut un homme de grande qualité. Ce sont là des discours qui ne nous intéressent pas. Ils ont un objectif politique commun : dénigrer l’expérience des premiers pays socialistes ou au moins distraire l’attention de cette expérience, qui aujourd’hui est au contraire d’une grande importance pour l’histoire future de l’humanité. De plus, c’est une source d’enseignement importante et actuelle pour les tâches qui nous attendent dans cette phase de renaissance du mouvement communiste.
La conception marxiste de l’histoire, qui est la
nôtre, reconnaît bien sûr qu’il y a des différences entre les rôles joués par
des individus dans la vie sociale et dans l’histoire. Et Staline a eu un grand
rôle dans l’expérience des premiers pays socialistes(1).
Il a dirigé pendant environ 30 ans le parti communiste du premier et plus
important pays socialiste, l’Union Soviétique. Il a personnifié d’un bout à
l’autre du monde les espoirs, les passions et les initiatives que ce pays a
suscités et alimentés dans les classes et dans les peuples opprimés durant une
grande partie du siècle passé. Pendant des décennies, « faire comme
Ce n’est pas un hasard si, depuis que la bourgeoisie est entrée dans la phase impérialiste, elle refuse d’analyser le contexte social concret et de trouver dans les relations avec celui-ci la signification des actions des individus : parce que si nous nous demandons quel rôle ils ont eu dans la résolution des problèmes fondamentaux de leur époque, le rôle négatif de ses représentants apparaît, même pour les plus célèbres dans l’actuelle phase impérialiste. Si par contre on construit l’histoire avec la conception bourgeoise, le champ reste ouvert à toute escroquerie et à toute invention. Soudain, à la fin du mois de janvier de cette année, on a dit à nous italiens que nous avions eu pendant des années parmi nous un génie et un saint, un « avocat des travailleurs » : Giovanni Agnelli, que les ouvriers italiens avaient supporté pendant des années dans le rôle de l’exploiteur. Et Gabriel Nizzim, inventeur de l’initiative sioniste le « Jardin des Justes du monde entier », théorise : « Qu’importe que quelqu’un soit fasciste, communiste ou fondamentaliste : l’important c’est qu’il sache reconnaître le mal et choisir l’homme ». Qui est cet homme, qu’un fasciste ou un communiste reconnaîtraient également, cela reste un mystère tant qu’on ne replace pas la phrase de Nizzim dans son contexte. Car alors elle se révèle être la thèse raciste où l’homme c’est le juif persécuté et il est aussi bien d’être fasciste à condition d’aider les juifs, qui pour Nizzim sont encore le « peuple élu ».
Nous ne devons pas nous laisser détourner de l’expérience historique des premiers pays socialistes par des discours (qu’ils soient détracteurs ou louangeurs) sur les caractéristiques personnelles de Staline. C’est seulement en les étudiant dans leur contexte historique concret que nous pourrons déterminer les mérites et les erreurs des dirigeants communistes qui, comme Staline, ont dirigé cette grande et titanesque entreprise dont nous parlerons par la suite. D’autant plus que, dans la période actuelle, pour qui veut être communiste, il est particulièrement important et urgent de connaître, étudier et comprendre l’expérience historique des premiers pays socialistes. Face au marasme économique, politique et culturel dans lequel le monde a plongé, la classe dominante, et les individus à son service ou esclaves de son influence idéologique, affirment que « de toute façon un monde différent n’est pas possible », que « de toute façon un système social différent n’est pas possible » ; ils cherchent à pousser à la résignation et au désespoir, ou dans le meilleur des cas à chercher à contenir les excès et à réparer ici et là les brèches les plus intolérables de la société actuelle. Les bourgeois plus progressistes arrivent à prêcher et pratiquer la charité et la bienfaisance : ils reconnaissent que même les prolétaires ont droit à manger à leur faim. Les plus audacieux en viennent à exhorter les représentants de la classe dominante « de créer un fond international pour mettre fin à la faim et à la misère » ! Les bourgeois combinent l’oubli et le dénigrement des premiers pays socialistes pour empêcher que se diffuse la conscience qu’un monde différent, un système social différent non seulement est possible, mais qu’il a déjà fait les premiers pas, a fait ses premiers essais, dans les premiers pays socialistes construits par la première vague de la révolution prolétarienne, dans la première moitié du siècle qui vient juste de s’achever.
Pourquoi la bourgeoisie et ses disciples traitent-ils les premiers pays socialistes comme le mouton noir de l’histoire de l’humanité ? Nous sommes plongés depuis presque 30 ans dans la seconde crise générale du capitalisme. La classe dominante, la bourgeoisie impérialiste, a tout intérêt à cacher ou dénigrer l’expérience de ces pays qui naquirent en tant qu’issue à la première crise générale du capitalisme (1910-1945) et qui pour quelques décennies ont soustrait à la domination de la bourgeoisie impérialiste jusqu’au tiers de l’humanité. Nôtre intérêt et l’intérêt de tous ceux qui cherchent une issue au marasme actuel de la seconde crise générale du capitalisme à étudier avec soin cette expérience sont tout aussi évidents.
« A la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » (Manifeste du Parti communiste, 1848, chap. 2)
La compréhension que la société bourgeoise laissera tôt ou tard la place à la société communiste n’est pas la conséquence de l’apparition des premiers pays socialistes et des avantages qu’ils offraient. Cette conscience préexistait à l’instauration des premiers pays socialistes. Elle avait précédé de soixante-dix ans la révolution d’Octobre (1917) qui marqua le début de l’instauration du premier des pays socialistes, l’Union soviétique, sur une grande partie du territoire sur lequel jusqu’alors s’était étendu l’empire du Tzar de Russie. Que la société communiste se substituerait inévitablement, tôt ou tard, à la société bourgeoise, c’est une découverte faite par Marx et Engels dans la première moitié du siècle XIX, il y a environ 150 ans, sur la base de l’étude de l’évolution de la société bourgeoise et de ce qu’elle représentait dans l’histoire de l’humanité. Dans le Manifeste du parti communiste (1848) ils annoncent et expliquent cette découverte. Les hommes ont désormais construit des forces productives matérielles et intellectuelles suffisantes pour ne plus être forcés de vivre dans la précarité et de passer une grande partie de leur vie à tenter d’arracher à la nature ce qui leur est nécessaire pour vivre. Les forces productives qui permettent ce passage historique ont un caractère collectif. Ces deux facteurs, que les hommes ont créés et qu’ils développent constamment sous la direction de la bourgeoisie elle-même, rendent possible et nécessaire l’avènement de la société communiste. Avec la précision et la sûreté avec laquelle, face à une femme enceinte on peut dire que tôt ou tard naîtra un nouvel homme sans attendre qu’il soit effectivement né et sans prendre en compte la façon et quand il naîtra et ce qui arrivera durant sa vie future. L’évolution que la société bourgeoise et l’humanité dans son ensemble ont accomplie dans les 150 ans écoulés depuis que Marx et Engels firent cette découverte, l’a confirmé pleinement. Nous sommes aujourd’hui capables de mesurer les pas effectués par l’humanité vers cet accouchement, vers cette transformation, même si nous ne sommes pas encore en mesure d’établir à quel moment et dans quelles formes elle se réalisera. Parce qu’il s’agit d’une création que les hommes, plus particulièrement les ouvriers et les masses populaires sous leur direction, accompliront librement : c’est-à-dire en essayant, en corrigeant et essayant à nouveau, comme il est advenu pour toutes les grandes transformations historiques que les hommes ont accomplies dans les 5.000 ans que nous connaissons de leur existence. Il n’existe ni Dieu ni génie qui sait déjà tout et nous guide : cet accouchement ne peut donc se produire qu’avec l’intervention active, visant ce but des grandes masses mobilisées, organisées et dirigées par des partis communistes : « la violence est l’accoucheuse de l’histoire ». Mais ceci est un sujet différent de celui que nous voulons aborder maintenant.
Nous voulons maintenant au contraire nous occuper surtout 1. des formes qu’ont eu les premiers pays socialistes, 2. des enseignements qu’ils ont apportés à ceux qui aujourd’hui luttent contre la bourgeoisie impérialiste et contre les autres forces conservatrices et réactionnaires.
Pour tirer de l’expérience des premiers pays socialistes les enseignements qu’elle contient, il faut évaluer les pays socialistes avec les catégories qui leurs sont propres. Il faut les considérer comme une formation économico-sociale nouvellement apparue dans l’histoire et l’étude doit découvrir ses catégories et ses contradictions spécifiques. Si nous devons étudier une nouvelle espèce animale, nous n’aboutirons à rien si nous nous limitons à la comparer à une autre que nous connaissons déjà. Il faut en particulier éviter « de mesurer les pays socialistes avec le mètre des pays capitalistes ». Persister à le faire et chercher à assimiler le système économico-social des premiers pays socialistes ou au capitalisme d’État, ou au despotisme asiatique, ou à quelqu’autre formation économico-sociale du passé, c’est se mettre dans une position analogue à celle de ces représentants du monde féodal qui pendant des siècles, tout au long de la période de l’affirmation du mode de production capitaliste et de la société bourgeoise, persistèrent à évaluer la nouvelle société qui apparaissait avec le mètre de la vieille. Aujourd’hui il saute aux yeux que dans leur jugement sur les bourgeois, leurs activités, leurs coutumes et leurs caractères, l’incapacité des auteurs était au moins égale au mépris dont ils étaient empreints et à la condamnation du nouveau monde qu’ils ont cru pouvoir porter.
Les premiers pays socialistes ont été la première tentative pratique et sur une grande échelle effectuée par la classe ouvrière moderne pour conduire l’ensemble des travailleurs, jusqu’alors exploités et opprimés, à abandonner leur condition servile et les conceptions et habitudes liées à celle-ci, fruit d’une histoire millénaire de division en classes ; ils ont cherché à créer des relations sociales et des conceptions basées sur l’association des travailleurs, instaurant de plus en plus la domination de ces mêmes travailleurs associés sur leurs activités et sur eux-mêmes, marchant ainsi pas à pas vers la société communiste. Il est inutile d’étudier cette expérience pour qui n’est pas convaincu que ceci est la tâche historique à laquelle les premiers pays socialistes se sont consacrés ; il vaudrait mieux dans ce cas étudier l’expérience des pays capitalistes jusqu’à comprendre où conduit le mouvement de leurs contradictions spécifiques. Pour qui voit clairement le rôle historique des pays socialistes, pour recueillir les enseignements de l’expérience des premiers d’entre eux, il faut se demander : jusqu’où sont arrivés les premiers pays socialistes dans la réalisation de leurs tâches avant d’inverser la direction de leur marche ? Comment, à travers quelles mesures, institutions et mouvements, y sont-ils parvenus ?
Le premier pays socialiste, l’Union soviétique, fut
constitué pendant la première guerre inter-impérialiste (1914-1918), puis en
1924 naquit
Quant aux autres pays de l’ex-camp socialiste, les
partis communistes qui dirigent Cuba,
De cette brève esquisse, il résulte que le rôle des premiers pays socialistes, comme protagonistes directs d’avant-garde du mouvement communiste au niveau mondial, s’est substantiellement tari. L’effondrement du camp socialiste a influé négativement sur la lutte entre les deux voies, les deux classes et les deux lignes partout dans le monde. Il a fait reculer l’horloge de l’histoire et il nous force à parcourir à nouveau une partie du chemin que nous avions déjà parcouru. Nous le reparcourrons cependant dans des conditions en partie différentes et riches de l’expérience des premiers pays socialistes. Pour nous aujourd’hui il s’agit principalement de comprendre les enseignements de la grande et historique expérience des premiers pays socialistes pour les employer dans la renaissance du mouvement communiste en cours et dans la seconde vague de la révolution prolétarienne qui s’approche au fur et à mesure que progressent la deuxième crise générale du capitalisme et la situation révolutionnaire en développement qui en résulte.
Quel fut le rôle des premiers pays socialistes dans l’histoire ? Les premiers pays socialistes ne créèrent pas la société communiste, ni ne pouvaient le faire. Ils ont parcouru une partie du chemin qui conduit de la société capitaliste à la société communiste.
Par nature, la société communiste sera internationale, étendue au monde entier. Les premiers pays socialistes par contre n’arrivèrent à couvrir qu’un tiers de l’humanité et ils ne réussirent même pas à fusionner entre eux. Mais, dans de nombreux domaines, ils ont créé des formes nouvelles de collaboration internationale.
Par nature dans la société communiste les hommes et les femmes ne seront plus divisés en classes. Dans les premiers pays socialistes par contre survécut la division en classes et il ne pouvait en être autrement. Le marxisme avait déjà expliqué que la division en classes avait été une condition nécessaire au développement de la civilisation et qu’il est impossible de l’abolir d’un seul coup : on la dépasse et elle s’éteint au fur et à mesure que les travailleurs s’organisent et, organisés, se gouvernent tous seuls. Dans la phase socialiste, les communistes amènent les travailleurs à apprendre à le faire.
Par nature dans la société communiste il n’existera plus ni État ni politique, en tant que gestion des affaires publiques réservée à une minorité de personnes et qui se concrétise dans l’État, organe distinct du reste de la société, détenant le monopole de la violence avec laquelle il impose cette gestion et maintient un ordre public conforme à celle-ci. Chacun des premiers pays socialistes au contraire fut encore gouverné par un État, quoique, comme nous le verrons, de type particulier.
La société communiste naîtra seulement comme
résultat et conclusion d’une période historique de transition, au cours de
laquelle, graduellement et par sauts, la division de la population en classes,
la politique et l’État seront dépassés, les nations fusionneront, non seulement
la propriété privée des forces productives disparaîtra mais aussi les multiples
divisions entre le rôle social des travailleurs intellectuels et des
travailleurs manuels, entre dirigeants et exécutants, entre les sexes, entre
ville et campagne, entre des secteurs, zones et peuples avancés et secteurs,
zones et peuples arriérés et les individus disposeront des biens et des
services nécessaires à leur vie selon leurs besoins. Cela se produira au fur et
à mesure que les forces matérielles et spirituelles des hommes et des femmes se
développeront jusqu’à atteindre une situation dans laquelle chaque individu
contribuera à la production et aux autres fonctions de la vie sociale selon ses
forces et capacités et recevra de la société ce qu’il lui faut selon ses
besoins. Une situation dont les premiers pays socialistes étaient encore loin
lorsque commença leur périple à reculons vers le capitalisme, la phase
d’affaiblissement et la corrosion : en 1956 en ce qui concerne l’URSS et les
pays socialistes de l’Europe Orientale, en 1976 en ce qui concerne
Tous les premiers pays socialistes, dans la phase
de leur développement, durent par contre affronter principalement la tâche
d’augmenter la production avec les forces productives déjà existantes. La
nourriture et les autres biens de consommation étaient encore produits en
mesure insuffisante pour satisfaire les besoins de chaque personne.
Entre-temps, le socialisme s’étant instauré dans des pays arriérés et exposés
au boycottage et à l’agression des pays impérialistes, les premiers pays socialistes
durent accumuler de façon autonome de nouvelles forces productives : les infrastructures,
les outillages, les connaissances et l’expérience nécessaires pour augmenter la
production. Aussi la gestion des entreprises agricoles, industrielles et de
service existantes et la construction de nouvelles entreprises productives fût le principal devoir social pour les premiers pays
socialistes, lorsqu’ils ne furent pas forcés de détourner des forces et des
ressources pour se défendre des agressions de la bourgeoisie impérialiste. La
lutte contre la nature pour arracher de quoi vivre resta dans tous les premiers
pays socialistes la principale activité humaine. Les unités productives des
biens essentiels et des moyens de production restèrent les principaux établissements
publics et ce fût autour d’elles que s’organisèrent dans un esprit unitaire
toutes les autres activités et institutions : la consommation, le logement,
l’instruction, l’éducation des enfants, la vie culturelle, etc. Ils
vécurent toute la période de leur développement (jusqu’à la moitié des années
50 pour l’URSS et les pays d’Europe Orientale et jusqu’à la fin des années 70
pour
Nous avons compris seulement après
« La dictature
du prolétariat est une lutte tenace, sanglante et non sanglante, violente et
pacifique, militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les
forces et les traditions de l’ancienne société. La force de l’habitude de
millions d’hommes est la plus terrible des forces. Sans un parti de fer, trempé
dans la lutte, sans un parti qui bénéficie de la confiance de tout ce qu’il y a
d’honnête dans sa classe, sans un parti qui sait interpréter l’état d’esprit
des masses et l’influencer, il est impossible de mener à terme une telle
lutte » (Lénine)
Face au déclin et à l’effondrement il y a 12 ans de
l’URSS et des démocraties populaires de l’Europe Orientale, il se produisit
quelque chose de semblable à ce qui arriva après la défaite de la première
tentative d’instaurer un pays socialiste, c’est-à-dire après la défaite de
Les premiers pays socialistes n’ont pas été vaincus
par l’agression de la bourgeoisie impérialiste, à laquelle ils
résistèrent au contraire victorieusement chaque fois qu’ils furent attaqués.
Ils se sont effondrés seulement suite à une période relativement longue de
décadence due à des facteurs internes. Lorsqu’ils tombèrent alors, et les
impérialistes USA, et le Vatican, qui depuis toujours conspiraient et luttaient
pour les abattre, revendiquèrent chacun pour soi le mérite de les avoir
détruits : les uns avec leur « guerre contre l’empire du mal »,
l’autre remerciant
Quant aux pays où fût instauré le socialisme pour
la première fois, ils sont encore aujourd’hui loin d’avoir rejoint la
condition de pays bourgeois normaux et beaucoup d’éléments induisent à penser
qu’il est difficile qu’ils l’atteignent jamais. Même les régions de
l’ex-République Démocratique Allemande ne la rejoindront
probablement pas, bien qu’elles aient été simplement englobées dans
Qu’est ce qui a rendu les premiers pays socialistes aussi forts ? C’est l’unité dialectique de la ligne de transformation de la société mise en oeuvre par les partis communistes (que nous avons définie synthétiquement à la fin du point 2) et du système de direction que les partis communistes instaurèrent pour la réaliser. Voyons maintenant en quoi consistait ce système de direction.
Le système de direction de chacun des premiers pays socialistes a eu des traits spécifiques et particuliers, liés à l’histoire, la tradition, aux caractéristiques, au degré de développement du pays et à la façon dont s’était déroulée dans chaque pays la lutte pour instaurer le socialisme. Dans chaque pays socialiste, le système de direction a subi des transformations multiples au cours des années. Il y eut toutefois d’importants traits communs à tous les premiers pays socialistes, traits qui sont restés inchangés tout au long de leur vie et qui sont spécifiques de la formation économico-politique. Même dans leur grande variété, dans tous les premiers pays socialistes le système de direction fut axé sur le parti communiste et sur les organisations de masse impulsées par le parti, sur le principe d’organisation du centralisme démocratique et sur la ligne de masse comme principale méthode de direction (même si cette dénomination fût utilisée seulement plus tard, lorsque sa théorie fut élaborée par Mao Tse-Tung). La structure de pouvoir formée du parti et de ses organisations de masse était ensuite dans chaque pays combinée de façon originale et évolutive avec un État entendu dans le sens traditionnel du terme : organisme détaché du reste de la société et, au moins en dernière instance, encore dépositaire du monopole de la violence (3). Pour rendre plus simple et plus concret l’exposé, par la suite nous nous référerons principalement à l’Union soviétique qui fut le premier pays socialiste et même celui où la transition a été la plus profonde et la plus longue (de 1917 à 1956).
Le refus de prendre acte de ce système particulier de direction et de l’étudier comme une forme historique nouvelle et spécifique de société politique est à la base des incompréhensions qui souvent se rencontrent même dans les discussions de bonne foi sur le caractère « démocratique » des premiers pays socialistes.
Les protagonistes de beaucoup de ces discussions mènent en réalité une discussion académique sur le thème : des pays bourgeois ou des premiers pays socialistes qui est le plus « démocratique » ? (C’est l’indétermination de ce terme qui rend la discussion académique) : en somme ils discutent si les premiers pays socialistes furent ou non plus démocratiques dans le sens de la démocratie bourgeoise, c’est-à-dire plus voisins du modèle idéal de la démocratie bourgeoise, de ce que sont les pays bourgeois. Le libre développement personnel et la participation de la masse de la population, et en particulier des ouvriers, à la gestion des affaires publiques dans un pays socialiste ne se manifeste pas et ne peut pas se manifester dans les formes dans lesquelles dans la société bourgeoise se réalisent le développement personnel et la participation des membres des classes exploiteuses à la politique. La démocratie prolétarienne ou dictature du prolétariat n’est pas l’extension aux ouvriers, l’ouverture également aux ouvriers, du système et des institutions politiques de la société bourgeoise. Cette ouverture est un rêve des groupes réformistes. Le système et les institutions de la démocratie bourgeoise reflètent les relations entre les membres de la bourgeoisie et sont adaptés aux conditions pratiques de vie de la bourgeoisie. Ils sont la transposition dans le champ politique des formes et des méthodes des relations d’affaires que les bourgeois ont entre eux. Ils ne peuvent donc pas être étendus aux prolétaires. Ce n’est pas un hasard si une grande partie des promoteurs des premiers mouvements politiques prolétariens, au début du XIXème siècle, étaient eux aussi des bourgeois, des petit-bourgeois ou des professions libérales (enseignants, avocats, etc....). Ce n’est que lorsque le mouvement politique des prolétaires atteignit un niveau permettant d’entretenir, former et sélectionner ses propres cadres permanents que commencèrent les partis communistes dans le sens actuel du mot. L’exclusion des prolétaires des institutions et du système politiques de la démocratie bourgeoise n’est pas forcée, voulue, imposée artificiellement. Au contraire elle résulte de la nature des rôles différents des classes dans la « société civile », dans l’ensemble des relations qui se forment, avant et indépendamment de l’activité politique, dans la vie économique et culturelle de tous les jours et c’est inséparable de la structure de classe de la société bourgeoise. Dans cette structure les prolétaires, et avec eux la masse de la population, ne peuvent pas participer à la gestion des affaires publiques et encore moins avoir un libre épanouissement personnel comme les bourgeois. Ce ne sont pas des écarts accidentels de la démocratie bourgeoise qu’on relève dans la réalité de chaque pays, ce ne sont pas non plus des limites dans l’application de ses principes et de son organisation qui en excluent les prolétaires. Mais c’est vraiment sa
« L’État
socialiste ne peut naître que sous la forme d’un réseau de communes de
production et de consommation, qui dénombreront strictement leur production et
leur consommation, ne gaspilleront pas le travail, en augmenteront sans cesse
la productivité et parviendront ainsi à réduire la journée de travail à sept
heures, six heures et moins encore » (Les tâches immédiates des soviets,
1918 O.C. Lénine vol 27 p 264).
propre nature, si l’on fait abstraction des cas particuliers ou accidentels qui existent dans n’importe quelle situation concrète. La participation des prolétaires aux organisations et aux institutions de la société bourgeoise est incompatible avec la position qu’ils occupent comme classe dans la société. Lorsque vers le début du XXème siècle leur participation à la vie politique de la société bourgeoise fut imposée par la loi (avec la formation des partis socialistes auprès des autres partis avec lesquels les différents groupes de la société bourgeoise cherchent à faire prévaloir leurs intérêts et avec l’extension du droit de vote à toute ou à une grande partie de la population masculine), les bourgeois parlèrent de la naissance avec les « partis de masse » de la « société de masse » et proclamèrent : « Cette légalité nous tue ». En effet, leur participation marqua la fin de la démocratie bourgeoise.
La participation imposée des prolétaires à la politique a subverti les institutions de la vieille démocratie bourgeoise qui s’étaient affirmées dans la lutte contre la noblesse, le clergé, la monarchie absolue et leur monopole de l’activité politique. Elle a donné lieu ou à leur suppression ou à leur transformation en "petit théâtre de la politique" (pour le dire à la façon de Berlusconi) : à l’achat et vente de votes, à la transformation des débats politiques publics en joutes oratoires théâtrales, campagnes publicitaires et escroqueries manigancées par les principaux centres financiers, à la manipulation systématique et délibérée des informations et de l’opinion publique avec le développement d’instruments spécifiques, de procédures, de techniques et de sciences. Les prolétaires avaient imposé leur présence dans la politique comme électeurs : alors les capitalistes ont fait jouer leur force sociale, mesurée pour chaque bourgeois au capital dont il dispose, dans la conquête du consensus et des votes des masses populaires pour leur étiquette politique. Déjà auparavant le capitaliste mobilisait, pour s’enrichir, un nombre de prolétaires en proportion du capital dont il disposait : maintenant avec le même capital il mobilisa les masses populaires en faveur des orientations politiques favorables à ses intérêts et contre ses adversaires. Plus l’État était démocratique dans le sens bourgeois, c’est-à-dire déterminé par le vote des électeurs et sans monopoles héréditaires et de caste, plus grande était la liberté pour le capitaliste d’en disposer en mobilisant avec son capital le consensus populaire en sa faveur. Le maximum dans la vénalité de l’État et de la politique fut atteint en effet dans le pays le plus démocratique au sens bourgeois du terme : les USA. Le vote et le consensus populaires devinrent des marchandises accaparées par qui a le plus d’argent à jeter sur le marché électoral, pour soudoyer des démagogues et pour conditionner et manipuler l’opinion publique selon ses intérêts particuliers et ses choix politiques. La bourgeoisie dut développer, et développa sur une grande échelle, des moyens et des manœuvres aptes à conduire « les masses ignorantes et instinctives », visant seulement « à satisfaire des passions et des appétits bestiaux », « à une réelle collaboration avec l’honneur et avec les intérêts de État » (pour le dire à la façon de W. Churchill). Et face à la force politique que leurs effectifs conféraient aux partis prolétariens, d’une façon ou de l’autre la « sécurité nationale » devait devenir et devint dans tous les pays impérialistes le principal critère de gouvernement ; elle a remplacé l’intangibilité des droits politiques et civils de chaque individu, qui avait été le drapeau avec lequel la bourgeoisie avait combattu contre les régimes féodaux, la noblesse et le clergé. L’état bourgeois se fixa le devoir de prévenir les délits politiques plutôt que de simplement punir qui s’en rendait responsable. La prévention des délits, et donc le contrôle des individus et de leurs associations, sont devenues les principales formes de politique interne et internationale: dans la politique interne la contre-révolution préventive et dans la politique internationale la guerre préventive sont devenues les lignes politiques de la bourgeoisie qui jusqu’alors avait été démocratique et pacifiste.
Les premiers pays socialistes n’adoptèrent donc pas, et ils ne pouvaient pas adopter, le même système de direction que les pays bourgeois. Le système de direction des premiers pays socialistes se basa sur des formes originales, adaptées à la nature de la nouvelle classe dominante (la classe ouvrière) et à sa tâche historique: avec le préalable de la propriété publique au moins des principales forces productives, réaliser la participation ample et croissante à la politique des ouvriers, des autres simples travailleurs, des femmes, des jeunes et en général des catégories qui dans la société bourgeoise sont opprimées, exploitées, discriminées, marginalisées et exclues et faire de leur participation croissante le moyen principal de la transformation des conditions matérielles et intellectuelles de leur vie par les masses elles-mêmes. Il ne s’agissait pas d’obtenir d’une façon ou d’une autre qu’une classe dominante concédât ceci ou cela aux masses, qu’elle éliminât leur misère la plus extrême ou leur donnât au moins à manger (comme le prêchaient les programmes utopiques des réformistes). Ils s’agissait de créer les conditions par lesquelles les masses elles-mêmes résoudraient leurs problèmes à leur manière. Leur participation croissante à la politique, comprise avant tout comme la direction et l’administration de la production et de la distribution de ce qui leur servait à vivre, arrivée à un certain niveau, aurait fait disparaître la politique et l’État. La quantité en serait changée en qualité.
Le trait original et innovateur du système de direction des premiers pays socialistes fut donc une structure de pouvoir composée du parti communiste, de ses organisations de masse (syndicats, organisations des jeunes, des femmes, de catégories et de groupes sociaux), des collectifs de travail avec leurs assemblées et leurs organes exécutifs, des assemblées d’immeuble, de village, de quartier, de ville, etc. avec leurs conseils de délégués révocables (soviet) et leurs organes exécutifs respectifs. Dans chaque pays socialiste et dès son instauration, ce système avait un caractère de classe net et déclaré (à la tête il y avait la classe ouvrière, alliée et dirigeante des autres classes de travailleurs, alors que les classes antisocialistes en était exclues), il s’exerçait dans tous les domaines (prenait des décisions, les exécutait et exerçait des tâches judiciaires, de police et militaires), impulsait la poursuite de la transformation socialiste au-delà des contraintes juridiques, fonctionnait selon le principe d’organisation du centralisme démocratique et employait comme principale méthode de direction la ligne de masse.
L’expérience de la constitution des premiers pays socialistes, bien que leur existence fut brève, a jeté une nouvelle lumière sur la nature et sur le rôle du parti communiste. Même s’il se constitue dans la société bourgeoise auprès des autres partis et, en des circonstances déterminées et pour une certaine phase, s’il effectue par certains côtés des tâches analogues à celles des autres partis et participe à la lutte politique typique de la société bourgeoise, le parti communiste n’est pas un parti comme les autres partis qui luttent pour s’approprier le pouvoir dans la société bourgeoise. Le parti communiste est l’avant-garde organisée de la classe ouvrière. Il est l’organisation des ouvriers les plus avancés, plus prestigieux, plus généreux, plus énergiques, plus capables d’assimiler la conception matérialiste dialectique du monde et de l’employer comme moyen pour diriger sa propre classe, pour qu’à son tour elle entraîne toutes les masses populaires tant à prendre le pouvoir à la bourgeoisie impérialiste qu’à prendre à son compte et dans ses mains la gestion de tous les aspects de leur vie. A la différence des autres partis, il ne cherche pas le pouvoir pour lui-même, ne demande pas une délégation de pouvoir. Il mobilise, il organise et éduque la classe ouvrière pour qu’elle gouverne et la guide pour qu’elle mobilise le reste des masses populaires pour qu’elles se libèrent de toute tutelle et des anciennes inhibitions et conceptions. Que le parti communiste doive avoir cette nature particulière était apparu évident déjà dans la période de la lutte pour la conquête du pouvoir. L’expérience des premiers pays socialistes a non seulement confirmé que ceci doit être la nature du parti communiste, mais a apporté une meilleure compréhension de sa nature et de son rôle.
A tout ce qu’on vient de dire, certains objecteront que chaque parti qui s’est déclaré communiste n’a pas eu les caractéristiques que nous avons indiquées. Cela est entièrement vrai. Pour avoir ces caractéristiques, il ne suffit pas non plus qu’un parti soit composé d’individus qui veulent sincèrement être communistes et croient honnêtement dans le communisme. Mais il est tout aussi vrai que les premiers pays socialistes furent instaurés grâce à des partis communistes de ce genre et que pendant leur période de développement ils furent dirigés vraiment par ce genre de parti. Les partis qui pendant la première vague de la révolution prolétarienne n’acquirent pas ces caractéristiques, ne réussirent pas à diriger victorieusement l’activité révolutionnaire des masses populaires et donc n’arrivèrent pas à instaurer le socialisme et à diriger quelque pays socialiste que ce soit. Il y a plus : lorsque les partis qui dirigeaient les premiers pays socialistes cessèrent, pour les raisons que nous verrons, d’avoir les caractéristiques que nous avons indiquées, en un court laps de temps ils conduisirent les pays socialistes à la ruine. C’est ce qui s’est passé dans les premiers pays socialistes après que les révisionnistes modernes aient pris la direction des partis communistes.
Chacun des partis qui construisirent et dirigèrent les premiers pays socialistes incarnait et réalisait la volonté et l’aspiration répandues dans la classe ouvrière de passer du capitalisme au communisme, de s’émanciper de la dépendance par rapport aux capitalistes, de transformer les rapports sociaux capitalistes en rapports communistes. Il les incarnait dans un organisme capable (avec sa structure, avec ses organisations de base, avec ses organes dirigeants, avec ses réunions, avec ses débats, avec ses congrès, avec sa vie interne, avec sa discipline) d’élaboration, de décision et d’action. Il réunissait un pourcentage d’ouvriers encore petit : les ouvriers communistes réunis dans le parti apprenaient à être la classe dirigeante, suivaient un processus continu de formation intellectuelle, morale et politique à travers la participation à la vie du parti, ce qui les rendait capables de guider toute la masse des travailleurs pour sortir des conditions de misère et de dépendance morale et intellectuelle dans lesquelles ils vivaient depuis des millénaires vis à vis des classes dominantes. Le parti donnait à chacun de ses membres les moyens nécessaires (en termes de conception du monde, de ligne politique, de mots d’ordre, de méthode de travail, de relations sociales et de prestige) pour être le levain de la masse de ses compagnons de travail et être l’animateur de leur activité sociale ; ils devenaient ainsi capables de les orienter et de les mobiliser pour réaliser les objectifs proposés et dans le même temps capables de comprendre leur état d’esprit et leurs aspirations et expériences, de porter celles-ci dans les instances du parti de sorte qu’elles deviennent matériaux et composants pour l’élaboration du parti et retournent aux masses comme objectifs à réaliser.
Le parti était composé de cette petite partie d’ouvriers qui non seulement n’étaient pas écrasés et résignés à la condition servile de leur classe, mais qui déjà ne concevaient pas pour eux une autre forme d’émancipation de la misère et de l’abrutissement culturel propre à leur classe qui ne serait pas l’émancipation de toute la classe. Par un effort particulier et un engagement individuel, en s’associant dans le parti ils conquéraient une autonomie subjective par rapport à leur condition spécifique et individuelle et devenaient dirigeants de leurs compagnons de travail, encore partie de leur classe mais déjà dotés, grâce au parti, d’une compréhension générale des conditions nationales et internationales de la lutte de classe et capable d’employer les méthodes nécessaires pour organiser et mobiliser leurs compagnons de travail. La force de ces partis n’était pas principalement dans le talent de leurs chefs, mais dans leur « structure de base » constituée d’ouvriers qui, unis et cohérents avec leurs intérêts de classe, continuaient à travailler aux côtés des autres ouvriers et, réunis en cellules d’atelier, connaissaient un à un dans la pratique quotidienne les ouvriers qu’ils devaient diriger. Avec leur activité ils les reliaient au reste du parti principalement fait de révolutionnaires professionnels (des cadres permanents), qui à son tour les reliait au reste de la classe ouvrière au niveau national et international. La combinaison de cette structure de base avec la superstructure des révolutionnaires professionnels dans l’organisation de parti, la ligne politique de transformation de la société vers le communisme et la conception communiste du monde faisaient du parti communiste une invincible machine de guerre.
Les liens existants entre la classe ouvrière et le reste des masses populaires (les classes qui participaient à la révolution, qui faisaient partie du camp de la révolution) permettaient de réunir et mobiliser toute la masse de la population laborieuse. Les membres de ces partis communistes ne furent jamais très nombreux, même pas après la conquête du pouvoir. En Union Soviétique le parti communiste en mars 1917 (au moment de la chute du tzar) comptait 24.000 membres et stagiaires sur environ 3 millions d’ouvriers de fabrique et une population de plus de 100 millions, 472.000 en 1924, 3.555.000 en 1933, 1.920.000 en 1938, 6.390.000 en 1948 et 6.897.000 en 1953. Les membres et les stagiaires devinrent ensuite 11.758.000 en 1965 et environ 16 millions en 1976 sur une population globale de 260 millions. Si on tient compte de la composition de classe particulière de l’URSS jusqu’au lancement des plans quinquennaux (le premier plan comprend les années 1928-1932) qui comportait un faible pourcentage d’ouvriers et un haut pourcentage de paysans, on voit que le nombre des ouvriers communistes oscillait de 1 à 6 pour 100 ouvriers. À la fin des années 20, les salariés recensés en URSS étaient 11 millions sur une population globale de 150 millions et 32 millions à la fin des années 30. Il faut se rappeler ensuite que les cadres (révolutionnaires professionnels) variaient selon les périodes de 2 à 3% des membres du parti (5). Évidemment le nombre limité de communistes par rapport au total des travailleurs peut être compris comme un indice du peu de chemin encore accompli vers la société communiste : la quantité était encore loin de pouvoir se transformer en qualité. Des chiffres que nous avons fournis on pourrait conclure que les premiers pays socialistes dans la meilleure des hypothèses (6 ouvriers communistes sur 100) ont parcouru environ 10% de la route pour arriver à la société communiste (en admettant que la quantité se transforme en qualité lorsqu’au moins 60% des ouvriers sont membres du parti communiste). Évidemment il s’agit d’un raisonnement qui sert seulement à donner une idée du phénomène dont nous traitons.
Le rapport particulier entre le parti communiste et classe ouvrière se traduisait aussi en institutions spécifiques du parti communiste.
D’abord la construction des organisations de base du parti en fonction des collectifs de travail (les cellules d’usine ou d’atelier). Dans chaque lieu de travail il y avait une cellule de communistes (minimum trois), eux-mêmes travailleurs, en contact direct et quotidien avec les autres travailleurs. Ces travailleurs communistes, qui déjà spontanément avaient dans le collectif un rôle d’avant-garde, étaient rendus encore plus compétents et influents par leur lien avec le reste du parti et orientaient, éduquaient et mobilisaient l’ensemble du collectif.
Ensuite en ce qui concerne la vie interne, l’appartenance au parti comportait l’assimilation par chaque membre de la conception matérialiste dialectique du monde et de la méthode matérialiste dialectique de pensée et d’action, l’usage systématique de la critique et de l’autocritique dans chaque instance du parti, l’application du centralisme démocratique dans les rapports internes entre individus et instance du parti et entre les instances du parti comme principe pour élaborer les décisions et les appliquer. Il s’agissait de travailleurs qui par libre choix suivaient avec élan et passion le procès de « formation continue » du parti : réunions, circulaires, cours, assemblées. Avec cela le parti les amenait à assimiler une conception du monde facile à assimiler pour les ouvriers parce qu’elle est l’explication rationnelle de leur nature et de leur expérience, une analyse de la situation internationale et nationale sur tout sujet d’importance, une ligne, des méthodes de propagande, d’organisation et de mobilisation. D’autre part ils apprenaient à recueillir et formuler en termes d’objectifs et de ligne les aspirations et les tâches de leur collectif pour qu’elles soient reprises par le parti, qu’elles deviennent ses tâches et qu’il les pose comme tâches de l’ensemble de la société. Ils étaient ce que leurs compagnons de travail ne pouvaient pas encore être, mais qu’ils deviendraient tôt ou tard grâce à leur activité.
En troisième lieu, en ce qui concerne les rapports entre le parti et le reste des ouvriers, les nouvelles candidatures au parti étaient également passées au crible par les assemblées du collectif de travailleurs dont le candidat faisait partie ; les assemblées des collectifs de travail donnaient leur avis lors des épurations périodiques des membres du parti ; il y avait un contact quotidien des membres et des organismes du parti avec les collectifs de travail respectifs et l’application systématique de la ligne de masse.
En quatrième lieu l’admission au parti était régie par des caractéristiques de classe précises. Andrei Zdanov (1896-1948), le futur dirigeant de la résistance de Leningrad pendant le siège nazi, au 18ème congrès du PCUS (en 1939), rappela que le 11ème congrès (en 1922) avait déterminé quatre catégories de candidats (simples ouvriers, ouvriers avec un rôle de chef, paysans, intellectuels et dirigeants) auxquelles correspondaient des durées croissantes de candidature, la demande d’un plus grand nombre de garanties, davantage d’ancienneté dans le parti et une sélection plus sévère. Zdanov proposa d’abolir les quatre catégories, en conformité avec l’orientation prédominante dans ces années là selon laquelle les différences entre les trois classes considérées (ouvriers, paysans et intellectuels) allaient en s’atténuant. Les catégories disparurent en effet en 1939 des Statuts du parti mais, grâce au pouvoir discrétionnaire laissé aux organisations du parti, elles ne disparurent pas dans la pratique (6).
Donc d’une part le parti n’était pas une association privée qui abordait uniquement entre l’organisation et chacun de ses membres les problèmes de sa vie interne (recrutement, formation, promotion, rétrogradation, critique, évaluation, exclusion, etc.) et à laquelle chacun pouvait adhérer à la seule condition d’en partager le programme politique. De l’autre, dans chaque circonstance et en chaque domaine et lieu, le parti agissait comme une institution publique : il assumait le devoir de faire l’enquête, définir une ligne, mobiliser la population pour résoudre chaque problème en employant lui même les moyens et les ressources dont la société disposait. Le parti communiste était animé d’une indomptable volonté, qu’il transmettait à la société, de transformer le monde et de créer une nouvelle société conforme aux intérêts et à l’expérience des travailleurs, en les entraînant à un rôle actif dans la production et dans la gestion des autres affaires sociales : des affaires les plus directes et immédiates aux plus universelles, communes à toute la société. Celles-ci ne pouvaient être spontanément et instinctivement perçues comme propres et indispensables par chaque collectif de base. C’était seulement grâce à l’action des communistes que chaque collectif les traitait consciemment comme siennes et donnait consciemment sa contribution à leur solution selon la division sociale du travail. Dans chaque collectif de travail ou local, celui qui se heurtait à un problème (de la femme battue par son mari jusqu’à une innovation à introduire dans le travail) savait qu’en se tournant vers le parti il mettait en marche un mécanisme qui saurait avec ténacité faire de son problème un problème du collectif. Et dans cette activité de chaque collectif se produisait la transformation des conditions matérielles, du caractère et des conceptions de chaque individu: la formation de l’homme nouveau.
Les organisations de masse reliaient entre elles et avec le parti tous les éléments même très peu actifs (ou qu’on réussissait à rendre au moins dans une certaine mesure et temporairement actifs) de chaque catégorie de travailleurs (avec les syndicats professionnels, les assemblées des collectifs de travail et leurs structures), les éléments des secteurs qui avaient le plus hérité de la vieille société une condition et une mentalité d’opprimés et d’exclus (femmes, jeunes, nationalités et catégories opprimés) et les éléments que la vie courante liait entre elles (habitants d’immeuble, de quartier, de village, de ville, de région). Ces structures unissaient sur chaque problème les personnes concernées le plus directement, de sorte qu’ensemble ils trouvaient le moyen de le résoudre et le mettaient en oeuvre avec l’aide que le reste de la société fournissait dans la mesure nécessaire et sur la base des disponibilités existantes. À travers les organisations de masse, le parti encourageait l’autonomie locale et de chaque groupe social auquel il était demandé de résoudre, avec un grand pouvoir discrétionnaire mais dans la fidélité à la cause socialiste, les problèmes d’intérêt exclusivement local, développait la capacité des masses d’analyser par elles-mêmes leurs problèmes, de trouver des solutions appropriées et de les mettre en oeuvre, sans avoir besoin de l’intervention de fonctionnaires envoyés d’en haut. Là où il fallait l’intervention d’éléments ou d’unités ayant une préparation professionnelle supérieure à celle disponible sur place, c’étaient les masses elles-mêmes, associées, qui les appelaient et les dirigeaient.
Les organisations de masse n’étaient pas des associations
privées, mais des institutions publiques. Outre la vie associative de ses
membres (recrutement, formation, répartition du travail, constitution des
structures, promotion, rétrogradation, expulsion, etc.), chacune d’elle gérait
même des aspects importants et croissants en nombre et qualité de la vie
sociale, effectuait des fonctions administratives (relatives par exemple au
logement, aux lieux pour les congés et le repos, centres pour l’instruction et
la santé, entreprises locales, distribution de biens et de services) et de
gouvernement (police, administration de la justice, ordre public, milice,
formation militaire, vigilance, etc.) auxquelles, à travers l’ensemble des
organisations de masse, était associée une très large partie de la population.
Dans un pays socialiste, seuls les individus que les organismes locaux du
parti, des organisations de masse ou de l’État avaient publiquement privés des
droits politiques et civils restaient extérieurs à l’activité administrative et
de gouvernement et soumis à un contrôle : surtout les membres des anciennes
classes exploiteuses (bourgeoisie, noblesse, clergé) et les ennemis déclarés du
système socialiste (délinquants habituels jugés irrécupérables et autres
éléments asociaux). La première constitution soviétique russe (1918) en donnait
cette liste: les personnes qui utilisent le travail salarié pour en tirer un
profit ; les personnes qui vivent de revenus ne provenant pas de leur travail
(d’intérêts du capital, de revenus d’entreprise, d’apports patrimoniaux, etc.)
; les commerçants privés, les parasites et les intermédiaires commerciaux ; les
moines, le clergé et tous ceux qui sont au service de l’église et des cultes
religieux ; les employés et agents de l’ancienne police, du corps spécial de la
gendarmerie et des services de la sécurité, ainsi que les membres de la famille
régnante de Russie ; les personnes reconnues handicapés ou malades mentaux
selon les modalités établies, ainsi que les personnes sous tutelle ; les
personnes qui ont été condamnées pour des délits de profit personnel ou pour
des délits infamants, pendant la période fixée par la loi ou par la sentence du
tribunal. Ces personnes étaient même exclues du service proprement militaire et
dans la défense du pays elles n’effectuaient que des tâches d’auxiliaires et
sous contrôle. En somme elles étaient traitées dans tous les domaines comme des
personnes déloyales, ennemis de classe. Ces discriminations disparurent
officiellement dans
Ce fut cette structure, constituée du parti communiste et des organisations de masse qui, dans les premiers pays socialistes anima et dirigea l’ensemble de la société et poussa chaque individu à donner le meilleur de lui même profitant des conditions qui la société lui offrait. L’idée que dans les sociétés socialistes l’initiative individuelle et le rôle des individus étaient étouffés est une fable qui fausse complètement la réalité et rend inexplicables les succès des pays socialistes. Au contraire, des millions d’individus trouvèrent finalement la stimulation, les conditions et le soutien social pour exprimer le maximum de leurs potentialités. L’initiative individuelle ne s’expliquait pas par une recherche d’enrichissement et de soumission d’autres individus pour les exploiter. N’était réprimée et punie que la seule initiative individuelle du genre de celle que le bourgeois prend en considération et que lui et ses apôtres prétendent motrice de tout progrès et trait constitutif d’une "nature" humaine créée par leur Dieu. Dans les premiers pays socialistes l’initiative individuelle s’exerçait par une contribution à la résolution des problèmes sociaux et individuels de la vie courante. L’esprit d’initiative, la volonté de s’affirmer, l’énergie des individus était canalisée dans la réalisation des tâches que la société se fixait : le développement de la production, l’amélioration des conditions de vie, l’émancipation des femmes, l’alphabétisation, la progression culturelle, etc. Cette initiative n’était pas une nouveauté : déjà la société bourgeoise elle-même ne serait pas sur pied sans le travail zélé et créateur de millions d’hommes et de femmes qui se consacrent à leur activité avec passion au milieu de contraintes de toutes sortes et contre les autorités bourgeoises qui étouffent leur initiative et refusent ou lésinent sur les moyens nécessaires pour la développer. L’idée que la recherche de richesse personnelle serait l’unique ou le principal stimulant de l’activité humaine est seulement la projection sur toute la société de la nature particulière des capitalistes, lesquels sont effectivement motivés seulement ou principalement par l’avidité d’accroître sans limite leur argent. Mais ces personnes sordides ne sont vraiment que les derniers héritiers de la mentalité qui était celle des troglodytes ne réussissant pas encore à se nourrir à suffisance. Elles incarnent le système social des pays capitalistes, commandent et infectent toute la société avec leurs conceptions survivantes d’une époque encore barbare de l’histoire humaine.
Contrairement à ce qui se produit dans la société
bourgeoise, dans les pays socialistes les forces et les ressources de la
société encourageaient dans la mesure du possible les efforts et les
aspirations des millions d’hommes et de femmes qui accomplissaient avec passion
leurs tâches et cherchaient à améliorer leurs conditions et celles des autres:
aux mères étaient reconnus les moyens pour être de bonnes mères, aux chercheurs
les moyens pour développer dans les meilleures conditions les recherches, aucun
ouvrier n’était licencié parce que "de trop" après avoir donné
pendant des années avec passion sa contribution à une entreprise, aucun ancien
travailleur n’était traité comme une vieille chaussure maintenant inutile et un
poids pour la société, chaque adolescent était placé face à des tâches qui
attendaient son action, chaque femme était aidée par tous les organes de la
société à s’émanciper de la tutelle masculine, etc. Aux hommes et aux femmes
qui voulaient apprendre, la société socialiste offrait écoles et instructeurs,
pendant que même la société bourgeoise la plus riche demande encore aujourd’hui
de payer des droits et des taxes pour la scolarité. Le progrès de la société
socialiste se mesurait à l’amélioration des conditions matérielles et
spirituelles de la vie de l’ensemble de la société et de chacun de ses membres.
Cette amélioration, directement perceptible par chacun, était publiquement
posée comme finalité de l’activité sociale et individuelle et comme moyen avec
lequel mesurer les résultats atteints : elle avait le rôle qu’ont chez nous
l’augmentation du PIB, l’évolution de l’indice de
C’est surtout grâce à cette nouvelle et originale structure de pouvoir que dans chacun des pays socialistes furent créées les conditions intellectuelles, morales et psychologiques grâce auxquelles un système productif basé principalement sur la participation, sur la passion et sur l’intelligence de la masse des travailleurs, fonctionnait de façon efficace et avec d’excellents résultats. Les unités productives (et les collectifs de travail) qui le composaient n’agissaient pas en échangeant (en vendant et en achetant) avec autres unités. La règle générale était que chaque unité recevait des autorités préposées à l’élaboration du plan national de production, la charge de produire dans une période déterminée une certaine quantité de biens ou de services, avec les matières premières, les produits semi-ouvrés et les outillages éventuellement nécessaires et à son tour elle faisait à cette autorité ses propositions de production et de fournitures pour les périodes suivantes. Ce système était basé sur la prémisse que dans chaque unité les travailleurs accomplirait la tâche reçue avec sens des responsabilités et créativité, et chercheraient à faire le meilleur usage des ressources dont ils disposaient et à travailler dans les meilleures conditions. Il est évident qu’une semblable organisation de la production pouvait donner de bons résultats (et les donna réellement) seulement si les travailleurs étaient motivés et participaient chacun avec passion et intelligence à la réalisation des objectifs de leur propre collectif de travail, à l’élaboration des propositions de ce que l’unité productive pouvait faire et à l’amélioration de ses potentialités. Les collectifs de travail et les individus plus avancés enseignaient à ceux plus arriérés et ils les incitaient à s’améliorer. Le système pouvait fonctionner (et il fonctionna remarquablement bien) tant que l’individu plus avancé eut la possibilité de diriger l’individu le plus arriéré et d’isoler les tricheurs, les parasites, les partisans du "chacun pour soi" baignant encore dans la mentalité primitive du bourgeois et de l’artisan, les partisans de la direction coercitive sur les arriérés sans éducation, de la punition économique des éléments arriérés comme unique ou principal moyen pour les inciter à s’améliorer, de l’attribution du pouvoir à qui savait mieux se débrouiller individuellement, de la perpétuation ou carrément du renforcement du rôle social et de la rémunération individuelle des travailleurs plus instruits, plus habiles, plus capables, de la perpétuation ou même du renforcement du caractère de classe des vieilles divisions entre travailleurs dirigeants et travailleurs dirigés, entre travailleurs intellectuels et travailleurs manuels, entre hommes et femmes, entre anciens et jeunes, entre nationalités, régions et secteurs avancés et nationalités, régions et secteurs arriérés. Le système fonctionna remarquablement tant que l’individu avancé eut la possibilité d’imprimer à toute la société un mouvement vers l’avant, tendu vers l’amélioration matérielle et intellectuelle de l’ensemble de la société, vers l’élévation de la conscience et de l’instruction, vers l’élargissement de la participation, vers la croissance de la confiance mise dans le collectif et de l’ esprit d’initiative et de maîtrise des travailleurs associés sur leur activité, sur les conditions de leur vie et sur eux-mêmes. Les incitations matérielles et morales attribuées aux individus et aux collectifs d’avant-garde pouvaient aider, mais pas se substituer à l’élan créé chez les individus et dans les collectifs par la conscience communiste, par la ligne juste pour avancer vers la société communiste, par l’action d’avant-garde du parti communiste.
Dans tous les pays socialistes existaient une série
d’indices et de normes sur les relations entre quantité des produits et
ressources consommées ou temps de travail employé : cependant ils servaient
principalement de référence, vérification et comparaison. De même que chez nous
on compile pour les écoles des indices comme le rapport élèves/enseignants, le
pourcentage de promus, le rapport élèves/surface de l’école, etc. : indices qui
servent pour comparer entre elles les diverses écoles et vérifier leur
évolution dans le temps, mais pas, sauf dans les désirs malsains des bourgeois
les plus malades de la gestion privée et "managériale" des écoles,
pour décider de la rémunération des enseignants et des directeurs et pas
davantage de la bonne marche des écoles qui pour chaque personne de bons sens
est indiquée par le niveau de formation et d’éducation des élèves qui sortent
de l’école. Les collectifs de travail des pays socialistes étaient liés l’un à
l’autre non par des rapports commerciaux, pas plus que par l’obtention de
prestations supérieures aux normes et aux indices, mais par un rapport moral et
intellectuel porté et personnifié par le parti communiste et les organisations
de masse. Chacun devait donner selon ses possibilités, bien que la distribution
des produits aux individus était encore principalement régulée selon le critère
"à chacun selon la quantité et qualité du travail qu’il accomplit".
Mais ce critère était supplanté, dans une mesure qui croissait au fur et à
mesure qu’on avançait vers le communisme, par le critère "à chacun selon
ses besoins". Une part croissante de services et de biens de consommation
étaient mise à disposition des individus gratuitement ou à des prix qui
servaient non pas à « rémunérer le producteur », mais à maintenir la
consommation dans le cadre des disponibilités (comme cela se passait chez nous
pour les soins de santé dans le domaine du Service Sanitaire National). À Cuba
pour améliorer la nutrition et la santé des enfants à une certaine époque fut
introduite la distribution gratuite du lait aux familles. On s’aperçut
cependant qu’un nombre élevé de familles gâchait le lait : alors il fut mis de
nouveau en vente à un prix minimum pour promouvoir une utilisation consciente
et raisonnable. Les prix attribués nominalement à chaque produit, même à ceux
qui n’étaient pas vendus mais étaient délivrés à l’organisme qui les avait
commandés, servaient à calculer et comparer la productivité du travail et
l’efficacité d’emploi des ressources de la part des collectifs de travail de
secteurs différents. Staline dans son écrit « Problèmes économiques du
socialisme en URSS », rédigé entre 1951 et 1952 comme contribution à
la discussion sur le Manuel d’économie politique de l’URSS que
l’Académie des sciences de l’URSS préparait, fit remarquer qu’en Union
soviétique les prix attribués à quelques produits étaient complètement
incohérents : les planificateurs avaient attribué à une tonne de grain un prix
égal à celui attribué à une tonne de pain. Cela entraînait des indices
dépourvus de toute valeur indicative et donc l’affectation des prix devait être
améliorée afin d’avoir des indices qui rempliraient leur fonction. Si l’on s’en
tenait aux indices établis sur la base de ces prix, il semblait que les
collectifs qui travaillaient dans les moulins, dans les transports, dans la
panification et dans la vente au détail ne donnaient aucune contribution à la
société et gâchaient des ressources. Cependant cette erreur des planificateurs
n’avait pas empêché que ces collectifs travaillent et contribuent au bien-être
commun. Mais il arriva que, peu d’années après, les révisionnistes décidèrent
de faire dépendre la rémunération des collectifs de travail de
« l’accomplissement des indices » et donc on poussa à chercher les
« justes prix » des produits individuels et même, dans une deuxième
phase « plus avancée », à instaurer des échanges commerciaux entre
les unités productives, sur la base de ceux-ci. Ce qui avait été jusqu’aux
années 50 une erreur des planificateurs, fut transformé en une contradiction
pratique entre des collectifs de travail qui entrava leur activité et abattit
leur moral, qui ouvrit la voie aux marchandages et subterfuges sans fin entre
des collectifs de travail et entre ceux-ci et les préposés au plan : un chaos
qui a perduré au cours des ans (les célèbres « réformes économiques »
des années 60 et 70 : la plus célèbre porte le nom de Kossyguine), fit émerger
comme chefs et dirigeants de la société soviétique une écume d’escrocs,
d’intrigants, de profiteurs, de criminels et d’aventuriers (7). C’est dans ce
contexte que commença à se former en Union soviétique ce réseau de criminalité
organisée que maintenant les média appellent
La structure formée du parti et des organisations de masse ne fut pas cependant l’unique structure de pouvoir, l’unique autorité sociale dans les premiers pays socialistes. Combinées avec le parti et ses organisations de masse il y eut aussi dans chaque pays socialiste d’autres institutions publiques sous divers aspects apparemment semblables à celles qui existaient dans les pays capitalistes : un gouvernement, une administration publique, une magistrature avec des prisons et des tribunaux, des forces armées d’état, polices et polices secrètes. Ces institutions formaient une seconde structure de pouvoir parallèle à la première. Ses organes étaient largement et de diverses façons combinés et influencés par la structure précédemment indiquée qui les pénétrait avec ses instances et ses commissaires politiques et qui officiellement les contrôlait (en URSS cela s’appela l’Inspection Ouvrière). Cependant ils conservaient la nature de corps séparés du reste de la société, constitués de professionnels détachés des collectifs de travail normaux, liés par une discipline et par une hiérarchie propres et n’agissaient pas sur la base d’une mobilisation populaire qu’ils auraient suscitée mais par la force et les moyens dont ils disposaient directement et selon des directives et des ordres provenant d’en haut. C’était en somme des organes d’État dans le sens traditionnel du terme, comme nous les connaissons encore aujourd’hui dans chaque pays. Cette seconde structure constituait dans chaque pays socialiste un accessoire de la première structure : un accessoire indispensable, mais pourtant toujours un accessoire.
La combinaison des deux types de structures de
pouvoir social fut la forme dans laquelle exista dans les premiers pays
socialistes la dictature du prolétariat. Face à chaque problème, chacun avait
le choix de se tourner vers l’autorité d’État (la police, etc.) ou vers la
cellule du parti. Cette combinaison contenait dans un rapport d’unité et de
lutte le nouveau et l’ancien : le nouveau qui devait s’étendre et l’ancien qui
devait mourir. L’ancien était constitué d’un État qui était encore un État dans
le sens traditionnel, mais ne l’était plus complètement parce qu’il était dans
un certain sens le « bras séculaire » de la structure du premier
type, il était supplanté par elle dans une mesure croissante et était tenu à
travailler selon les directives fixées par le parti. Derrière l’appareil d’État,
se trouvait la structure constituée des masses populaires associées et en
premier lieu des ouvriers associés. On peut dire que ces associations
accomplirent dans les premiers pays socialistes le rôle qui dans les pays
bourgeois est exercé par le monde des affaires et les multiples relations qui
lient l’un à l’autre les capitalistes et les riches en un réseau (la
« société civile »,
Le rapport d’unité et de lutte entre ces deux
structures de pouvoir parcourt toute l’expérience des pays socialistes, trouve
des solutions pratiques et temporaires diverses de pays à pays et au cours des
ans, il distingue l’Union soviétique des démocraties populaires et chaque
démocratie populaire l’une de l’autre. Les soviets réunissaient dans le même
organisme la nature des deux structures. Tout au long de la vie de tous les
premiers pays socialistes, il saute aux yeux une certaine timidité de la gauche
à indiquer clairement qu’on devait poursuivre la prédominance de la première
structure sur la deuxième avec l’objectif de la substitution graduelle de
celle-ci par la première. Pourtant cette prédominance fut une donnée de fait
pendant la période d’ascension des premiers pays socialistes. Seule
Le rapport d’unité et de lutte entre ces deux
structures de pouvoir ressort clairement avec la question de la « légalité
socialiste » qui se posa tout au long la vie des premiers pays
socialistes. Après
En règle générale un homme qui donne une gifle ou tire sur une femme ce n’est pas la même chose qu’une femme qui donne une gifle ou tire sur un homme. En règle générale le premier épisode est grave parce qu’il réaffirme et renforce le côté négatif de l’ancienne société (la subordination des femmes aux hommes). Le second épisode peut être même positif, voire très positif : le début de l’émancipation de cette femme de la subordination aux hommes, une incitation pour toutes les femmes à se libérer de la tutelle masculine, un aspect concret et particulier d’un procès social positif que la société doit encourager : l’émancipation des femmes à l’égard des hommes. Dans les pays socialistes aussi la loi impartiale et égale pour tous punissait la violence privée. Mais appliquer cette loi de la même manière, impartialement, à des individus différents (l’homme et la femme) conduit à des résultats socialement négatifs, renforce la subordination des femmes et la prédominance des hommes. Mais il y a plus. Avec la prédominance que les hommes héritent de l’ancienne société, chaque homme jouit véritablement de conditions sociales plus favorables par rapport à la femme pour faire valoir ses arguments, pour faire reconnaître par la société (par des juges dans notre exemple) qu’il a raison. Il a une plus grande habitude de traiter les affaires sociales et de parler en public, moins de pudeur à exposer des faits personnels et intimes, il jouit d’un préjugé social favorable à l’homme (« lorsque tu rentres chez toi, bats ta femme : si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait »), a plus de moyens pour trouver des défenseurs habiles et des témoins, de meilleures connaissances et relations personnelles, etc. Donc non seulement la discrimination positive en faveur de la femme est nécessaire, mais dans certains cas la rébellion privée et individuelle contre l’homme doit même être traitée comme un fait principalement positif et faire en sorte que l’épisode devienne une occasion pour la mobilisation en masse des femmes.
Ce qui est illustré par cet exemple vaut aussi bien pour beaucoup de relations de la vie sociale et beaucoup de cas. Un individu qui fait irruption dans l’habitation privée d’un autre, qui s’approprie des biens qui ne sont pas les siens, qui dupe un autre, qui fait du marché noir, etc. Le même fait accompli par des individus de conditions sociales différentes doit être traité de façon différente pour atteindre le même résultat: la marche vers le communisme. La lutte de classe et la politique doivent prévaloir sur la lettre de la loi.
L’instauration de l’égalité de chaque individu face à la loi (la loi égale pour tous) a eu un contenu progressiste pendant la révolution bourgeoise parce qu’elle a aboli les privilèges juridiques de classe et de caste (des nobles, du clergé, du mari sur la femme, des parents sur les enfants, des maîtres de corporation sur les apprentis, des hommes sur les femmes, des patrons sur ses salariés, etc.). Elle a mis surtout les bourgeois (les capitalistes et les professions libérales) sur le même plan que les nobles et le clergé face à l’administration de la justice, sur le plan des droits et des devoirs. Mais l’application égale dans tous les cas de la même loi dans la société bourgeoise a un contenu négatif pour les classes opprimées ; dans la société socialiste elle a un contenu conservateur et même réactionnaire parce qu’elle traite de la même manière des personnes qui « se présentent dans des conditions différentes devant la loi ». Donc elle perpétue et réaffirme les formes d’asservissement et de subordination sociales héritées de l’ancienne société. Face à la loi égale pour tous et équitablement appliquée à tous, le riche a de meilleures capacités que le pauvre, le capitaliste que l’ouvrier, la personne socialement bien intégrée que le marginal, le magistrat, le policier ou le prêtre qu’une autre personne, l’homme que la femme, l’adulte que l’enfant, l’instruit que l’ignorant, l’enseignant que l’élève, l’habitant du lieu que l’étranger, celui qui parle la langue locale que celui qui ne la connaît pas, Berlusconi que ses accusateurs, etc.
Il faut prendre acte que l’effet social d’un même
acte est déterminé, au-delà de l’acte lui-même, par les circonstances sociales
dans lesquelles il est accompli et par la condition sociale de qui l’a
accompli. Même la législation bourgeoise tient compte dans une certaine mesure
des circonstances, pour atténuer ou aggraver. Mais l’ « égalité
devant la loi » et la domination absolue de la loi dans une société
divisée en classes créent le règne des escrocs (à chaque loi, sa manière de la
tourner). Qui a de meilleurs moyens et relations et est plus malin utilise la
loi en sa faveur et s’en sert pour ses manigances, enrôle des avocats habiles
et convainc, même légalement, magistrats, experts et témoins. Les délinquants,
même responsables de graves délits, sont absous, et s’en sortent avec rien ou
presque rien, ou ne sont même pas traduits en justice. Plus ils sont
déterminés, habiles et organisés, donc plus ils sont socialement dangereux,
plus ils sont tranquilles et s’en sortent bien. Des innocents ou des personnes
qui ont violé la loi par nécessité, par désespoir ou par ignorance sont par
contre condamnées. Jusqu’à des résultats paradoxaux : une femme qui tue son
exploiteur est un assassin, le vol de nourriture est un délit alors qu’un faux
dans un budget n’est qu’une infraction réparée avec une amende, la faim qui
entraîne la mort n’est un délit pour personne, en Californie avec la loi
« third stroke out » (que
La lutte de classe du prolétariat contre la
bourgeoisie ne se fait pas avec les critères juridiques dont l’instauration a
aidé la bourgeoisie à se substituer à la noblesse et au clergé comme classe
dominante. La bourgeoisie elle-même depuis que nous sommes entrés dans l’époque
impérialiste a abandonné l’application impartiale de la loi égale pour tous,
spécialement dans les conflits politiques et du travail. En Sicile occidentale
après la deuxième guerre, les associations paysannes faisaient rapidement
disparaître
Dans l’ancienne société il était normal que les parents frappent les enfants, « ça sert à leur éducation ». Mais c’était une violation de la morale en plus que de la loi qu’un enfant batte un parent. Lorsque en URSS un gamin, Pavlik Morozov, dénonça son père qui conspirait avec les koulaks contre le socialisme, ses parents et d’autres habitants du village furent tellement indignés qu’ils le tuèrent lui et d’autres pionniers qui le soutenaient. Beaucoup de femmes eurent la même fin lorsqu’elles se rebellèrent individuellement contre les maris et la famille. La dictature de la classe ouvrière luttait contre toute cette crasse avec la mobilisation des masses et la lutte de classe, plutôt qu’avec la loi et la police. L’application de la loi devait servir la lutte de classe et la transformation de la société, non pas les entraver.
Au long de la vie des premiers pays socialistes le
« renforcement de la légalité socialiste » fut par contre le drapeau
derrière lequel se regroupèrent les ennemis du socialisme. Mais en définitive
dans ses effets sociaux cette légalité n’était pas moins négative pour les masses populaires et moins favorable à la conservation
des droits acquis et des privilèges hérités de l’ancienne société parce qu’elle
était embellie avec l’appellation de socialiste. Les révisionnistes
modernes insistèrent sur la « légalité socialiste », sur la
subordination du parti et de ses OdM à la loi impartiale et égale pour
tous ; évidemment ils prirent aussi appui sur des erreurs et excès commis
dans la lutte de classe, les exagérant et même en les inventant. Kroutchev
entama en 1956 sa campagne de masse contre le socialisme en dénonçant les
« violations de la légalité socialiste ». Au fur et à mesure qu’ils
obtinrent quelques succès dans cette prétention, que dans la plupart des pays
socialistes la gauche ne contesta pas ouvertement et systématiquement, le
résultat ne fut pas seulement l’affaiblissement des pays socialistes jusqu’à
leur écroulement, mais la création du règne du crime organisé qui connaît la
loi et sait l’employer à son propre avantage pour faire taire ses opposants. La
lutte pour la « légalité socialiste » et pour la subordination du
parti communiste à la loi fut et reste un des drapeaux de la bourgeoisie dans
la phase de retour graduel et pacifique au capitalisme. On en a encore
aujourd’hui un exemple avec
Le rapport d’unité et de lutte entre ces deux
structures de pouvoir, cette particularité spécifique des premiers pays
socialistes, apparaît clairement aussi dans la période de leur décadence. Le
révisionnisme moderne élimina comme antidémocratiques les mesures de
discrimination positive, l’affectation claire de chaque individu à la classe
sociale d’appartenance et la liaison entre celle-ci et ses droits politiques et
civils, la discrimination contre les ennemis de classe. Il proclama que la
division en classes s’était déjà éteinte, réduisit les ennemis du socialisme
aux opposants politiques (les « dissidents »), arrêta et renversa le
procès de substitution de la première structure de pouvoir à la deuxième,
exalta l’autonomie et la stabilité de la structure d’État « de tout le
peuple ». Les révisionnistes, tout en se couvrant parfois de proclamations
retentissantes en sens contraire (du reste Kroutchev en 1961 lança en grande
pompe un plan qui aurait dû amener l’URSS à construire en 20 ans rien de moins
que la société communiste !), prirent peu à peu dans la pratique des mesures
qui donnaient la prééminence aux institutions d’État présentées comme des
institutions au-dessus des classes : « de tout le peuple » comme
Kroutchev le proclama en URSS déjà au 22ème congrès (en 1961) et comme le dit
À l’épreuve des faits le système de direction des premiers pays socialistes s’est révélé capable de résister à tous les types d’agression de la part de la bourgeoisie et des autres classes réactionnaires, capable de corriger ses erreurs et de diriger l’activité des masses populaires dans chaque domaine (économique, culturel et civil) avec des résultats jamais atteints auparavant en ampleur et rapidité. La réalité a montré que les ennemis que devait craindre un tel système de direction étaient principalement les ennemis intérieurs, liés à la persistance de la division de classe et de la lutte de classe dans le cadre de la société socialiste elle-même : la bourgeoisie spécifique de la société socialiste. Un tel système de direction pouvait dégénérer, mais il ne pouvait être brisé par ses ennemis extérieurs.
Pour évaluer correctement la force intrinsèque que la combinaison de leur ligne de transformation de la société et de leur système de direction donna aux pays socialistes (qui les rendit résistants à toute agression de l’extérieur), il faut tenir compte également des faits suivants :
1. Les premiers pays socialistes furent dirigés par des individus qui, dans leur immense majorité, n’avaient pas de formation et d’expérience antérieures de direction et de commandement.
2. Ils durent écarter et frapper de mesures discriminatoire une bonne partie des classes les plus cultivées de l’ancienne société ; celles-ci avaient une plus grande expérience d’organisation, de direction et de commandement, davantage de relations sociales internes et internationales et disposaient encore souvent de moyens financiers considérables ; de toute façon elles étaient toujours dotées d’un patrimoine culturel avec lequel elle faisaient chanter la nouvelle classe dirigeante et exerçaient des pressions de toutes sortes sur elle. Un ex-haut dirigeant ou un intellectuel qui se considéraient maltraités avaient dans les pays socialistes bien d’autres moyens pour se faire valoir que ceux d’un simple ouvrier, des bonnes ou d’une ménagère dans un pays capitaliste, même le plus démocratique et progressiste.
3. Ils durent faire face à des pays qui avaient une organisation d’État éprouvée grâce à une longue expérience et relativement stable, et à une classe dirigeante forte d’une longue tradition de domination.
4. La nouvelle classe dirigeante qui se formait dans les pays socialistes était composée (il ne pouvait en être autrement) d’individus qui, du fait de la nature même du rôle social qu’ils jouaient, acquéraient inévitablement certaines caractéristiques des membres des anciennes classes dirigeantes et devaient exercer des fonctions, avoir une activité et adopter des coutumes et des usages dans une certaine mesure analogues à ceux des membres des anciennes classes dirigeantes. Et cela d’autant plus que le pays était économiquement et culturellement arriéré. Ils étaient d’autant moins facilement remplaçables que le pays était arriéré. Leurs conditions de vie et leur culture devaient être d’autant plus éloignées de celles des masses que le pays était plus arriéré. Cela faisait d’eux un groupe social relativement restreint d’individus, chacun personnalisant un certain pouvoir social. Chacun devenait une cible tentante pour la bourgeoisie internationale: soit pour ses balles de plomb, soit pour ses balles enrobées de sucre. Chacun risquait de reproduire les procédures et les méthodes de direction de la bourgeoisie, de se fossiliser et de se transformer de promoteur de l’émancipation des masses en obstacle à l’émancipation des masses. Tous facteurs qui rendaient forte la probabilité que des représentants de cette nouvelle classe dirigeante deviennent les membres de la nouvelle bourgeoisie, spécifique des pays socialistes, des promoteurs d’une ligne qui consolidait les divisions de classe encore persistantes.
La conscience superficielle que les communistes
avaient, au moins jusqu’à
La grande force intrinsèque des premiers pays socialistes est entièrement compréhensible : il suffit de considérer que la concentration d’énergies, ressources, expériences, connaissances et informations représentée par le parti communiste étendu à tout le pays et relié par l’Internationale aux partis communistes du reste du monde, faisait que les ouvriers directement ou indirectement (par l’intermédiaire de leurs organisations de masse) reliés au parti, avaient une orientation juste et lançaient des mots d’ordre justes, tandis qu’aucun d’eux n’y serait jamais arrivé tout seul.
Cela introduisait dans la large base de la pyramide
de classes, de secteurs et de régions héritée de l’ancienne société, un facteur
de croissance culturelle et civile qui subvertissait la vieille structure et
les vieilles conceptions. Le parti à son tour tirait de chacun des membres de
sa structure de base une masse d’informations à laquelle tout seul aucun
dirigeant ne serait jamais arrivé, pour autant qu’il fut un observateur aigu et
expérimenté. Cela concentrait dans le parti une connaissance véridique, profonde
et opportune des nécessités, des aspirations, de l’état d’esprit et des
capacités des masses populaires de tout le pays. Le parti devenait ainsi en
mesure d’élaborer cette connaissance à la lumière du patrimoine universel du
mouvement communiste et de la traduire en ligne, objectifs, méthodes et mots
d’ordre. Par elle-même cette structure reliait entre eux les ouvriers des
entreprises de tout le pays. A travers elle les ouvriers de chaque entreprise
tiraient profit du bilan et des enseignements des luttes conduites par les
ouvriers de tout le pays, étaient informés et en mesure d’exprimer de la
solidarité et donc ainsi de soutenir les luttes des ouvriers de tout le pays
pour porter en avant la transition vers le communisme. Le mécanisme qui animait
ce procès était régulé par le centralisme démocratique et était animé par la
pratique de la critique-autocritique-transformation et par la lutte entre les
deux lignes. Il anima et poussa à la lutte et vers la victoire l’ensemble de la
classe ouvrière et les masses populaires dans chacun des premiers pays
socialistes dans leur phase de développement : jusqu’à la seconde moitié des
années 50 pour ce qui concerne l’Union soviétique et les démocraties populaires
de l’Europe Orientale et jusqu’à la fin des années 70 pour ce qui concerne
« D’un point de
vue général, la différence entre la démocratie bourgeoise, parlementaire, et la
démocratie soviétique ou prolétarienne se ramène en fait à ce que la première
plaçait son centre de gravité dans la proclamation solennelle et pompeuse de
toutes sortes de libertés et de droits, tout en empêchant la majorité de la
population, c’est-à-dire les ouvriers et les paysans, d’en jouir de façon tant
soit peu suffisante. La démocratie prolétarienne ou soviétique, par contre, est
centrée non sur la proclamation de droits et de libertés pour tout le peuple,
mais sur la garantie réelle que les masses laborieuses qui étaient exploitées
et opprimées par le capital auront vraiment accès à la direction de l’État,
pourront vraiment utiliser les meilleurs bâtiments et locaux pour leurs
réunions et leurs congrès, disposer des meilleures imprimeries et des plus gros
stocks de papier pour l’instruction de ceux que le capital abrutissait, sur la
garantie que ces masses aurons réellement (pratiquement) la possibilité de se
libérer peu à peu du poids des préjugés religieux, etc, etc. Une des tâches les
plus importantes du pouvoir soviétique, qu’il doit poursuivre sans relâche,
consiste donc à donner aux travailleurs et aux exploités la possibilité de
jouir réellement de tous les biens de la culture, de la civilisation et de la
démocratie » (Projet de programme du PC(b)R,
1919 OC Lénine vol 29, p 106).